Opéra

Le Voyage d’Automne, de Bruno Mantovani, ou le déni de l’horreur

Le Théâtre du Capitole s’apprête à vivre un moment exceptionnel, de ceux qui ont construit sa réputation patrimoniale depuis plusieurs siècles : une création mondiale. C’est le dernier opus du compositeur français Bruno Mantovani : Voyage d’Automne. S’inspirant du livre de François Dufay, cet opéra, sur un livret de Dorian Astor, relate le voyage d’une poignée de célébrités littéraires françaises à Weimar en octobre 1941, à l’invitation de Joseph Goebbels, afin de participer à un Congrès d’écrivains. Ils ont pour noms : Marcel Jouhandeau (1888-1979), Ramon Fernandez (1894-1944), Jacques Chardonne (1884-1968), Pierre Drieu La Rochelle (1893-1945) et Robert Brasillach (1909-1945). Ils sont accompagnés tout au long de leur périple par un officier allemand responsable de la Culture à Paris, Gerhard Heller (1909-1982), un homme dont va s’éprendre Marcel Jouhandeau, créant ainsi dans ce convoi de nihilistes, antisémites, fascistes et collaborationnistes, un éclair de comédie bourgeoise.

C’est un opéra au sens propre du terme avec un Prologue, trois actes et un Epilogue. Cette commande du Capitole de Toulouse est mise en scène par Marie Lambert-Le Bihan et dirigée par Pascal Rophé. Sur scène la fine fleur, masculine, du chant francophone a été réunie par Christophe Ghristi : Pierre-Yves Pruvot (Marcel Jouhandeau), Emiliano Gonzalez Toro (Ramon Fernandez), Vincent Le Texier (Jacques Chardonne), Yann Beuron (Pierre Drieu La Rochelle), Jean-Christophe Lanièce (Robert Brasillach) et Enguerrand de Hys (Hans Baumann). Viennent se joindre à cette distribution le baryton allemand Stefen Genz dans le rôle du démon de la tentation Gerhard Heller, le contre-ténor franco-britannique William Shelton dans celui de Wolfgang Göbst, alias Joseph Goebbels et, dans le seul mais merveilleux rôle féminin, la soprano albigeoise Gabrielle Philiponet (La Songeuse).

Laissons la parole aux principaux acteurs de cette aventure lyrique qui, n’en doutons pas, va faire date bien au-delà de l’Occitanie.

Christophe Ghristi (directeur de l’Opéra national du Capitole) : L’Opéra national du Capitole fait partie de ces institutions culturelles dont l’une des missions légitimes est de nourrir le répertoire, y compris au travers de créations et donc de commandes [] Je tiens à dire tout de suite que cet opéra n’est en aucun cas un tribunal de l’Histoire. Les personnages sont d’indéniables collaborateurs et, à ce titre, ils ont été jugés.

Dorian Astor (librettiste) : J’ai rapidement souhaité m’éloigner de toute reconstitution historique et prendre le large vers un voyage onirique, même s’il est cauchemardesque, un voyage qui nous plonge dans un monde d’illusions [] Embarquer chaque soir plus de mille personnes dans ce c=voyage est un acte et une expérience qui me semblent importants dans la vie d’une cité.

Le compositeur du Voyage d’Automne, Bruno Mantovani – Photo: Caroline Doutre

Bruno Mantovani (compositeur) : Dans ce voyage, il y a tout en terme de dramaturgie : un début, un milieu et une fin, de l’amour, du sexe, des scènes intimes et aussi de grands ensembles [] Ce n’est pas un opéra « d’actualité » mais il est vrai que cette dernière nous a rattrapés. C’est une fresque historique, rigoureusement traitée [] Ce qu’il faut analyser c’est comment une pareille intelligence collective passe du côté de la barbarie. Comment une élite intellectuelle non seulement se soumet mais est prête à collaborer.

Marie Lambert-Le Bihan (mise en scène) : Comment traduire sur un plateau cette absence totale d’examen de conscience ? J’espère que nous arrivons à donner ce sentiment d’ingénuité coupable et de terrible ambiguïté [] Ce Voyage d’Automne est un trajet autant intellectuel qu’émotionnel parfaitement inédit.

Pierre-Yves Pruvot (baryton/Marcel Jouhandeau) : C’est terrible mais j’ai le sentiment que l’Histoire se répète et que nous retournons à cette époque-là. Tout ce qui se passe dans le monde nous montre que les totalitarismes prennent le pas.

Emiliano Gonzalez Toro (ténor/Ramon Fernandez) : Il est important de ne pas oublier de pareils évènements et d’en perpétuer le souvenir. C’est ce que l’on appelle le devoir de mémoire [] Un grand compositeur d’aujourd’hui nous livre une histoire d’hier dans un élan patrimonial qui est celui de l’Humanité, avec ses défauts, ses faiblesses et ses beautés. C’est à ce sacre artistique que nous invitent Christoph Ghristi et le Capitole de Toulouse.

Vous l’avez compris, tous les acteurs de cette création mondiale ont été bousculés et interpellés personnellement. Nous sommes ici à des années-lumière d’un Barbier de Séville, certes, mais il s’agit d’un autre rendez-vous encore plus précieux car il nous invite à partager un moment unique avec notre Histoire et l’histoire du Capitole de Toulouse.

Robert Pénavayre

Représentations : 22, 24, 26 et 28 novembre 2024

Renseignements et réservations : www.opera.toulouse.fr

Partager