Entretiens | Opéra

Dans Thaïs, l’amour est sublimé à un niveau symbolique (Stefano Poda)

Stefano Poda - Copyright: Priska Ketterer

Le metteur en scène, décorateur, costumier, éclairagiste et chorégraphe (excusez du peu !) italien Stefano Poda est déjà l’auteur au Théâtre du Capitole de spectacles entrés d’ores et déjà dans la légende de de cette maison lyrique : Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas en 2019, Rusalka d’Antonin Dvorak en 2022 et Nabucco de Giuseppe Verdi en 2024. Christophe Ghristi le convoque à nouveau pour ouvrir la saison capitoline 25/26 avec la Thaïs de Jules Massenet.  Celui qui a révolutionné les Arènes de Vérone avec des mises en scène high tech s’apprête à prendre pour la première fois une caméra et réaliser un long métrage… d’anticipation ! Mais avant, Stefano Poda se penche pour nous encore une fois sur cet ouvrage, véritable joyau trop peu programmé de l’art lyrique français.

Rencontre

Classictoulouse : La production de Thaïs, que vous signez, fidèle à votre principe, intégralement, a été créée à Turin en 2008. Celle que nous allons voir au Capitole est-elle identique en tous points?

Stefano Poda : On ne peut jamais se baigner deux fois dans la même rivière… La production de Turin est physiquement identique, mais son âme est tout à fait nouvelle ! Les costumes et décors avaient été réalisés en Italie avec un artisanat d’une grande finesse, incroyablement raffiné : je suis très heureux d’avoir pu restaurer et revitaliser une production qui poursuit la recherche de la véritable modernité.

Ariane et Barbe-Bleue – Théâtre du Capitole – Avril 2019

Les années 1880/1890 sont une période de grande créativité pour Jules Massenet car elles voient naître Manon, Werther, Thaïs, Cendrillon entre autres.  En 1886, le compositeur fait un voyage à Bayreuth où il assiste à une représentation de Parsifal. Pensez-vous que cet ouvrage ait pu influencer l’écriture autant vocale que musicale de Thaïs qui est créée en 1894?

Certainement. L’influence de Parsifal se retrouve dans un style continu, spirituel et mystérieux : on perçoit une tension constante entre les personnages, victimes du péché mais aussi des passions humaines.

Dans le corpus lyrique de Jules Massenet, quelle place donnez-vous à Thaïs ?

Avec Thaïs, Massenet a composé, en puisant dans toute son expérience passée, une partition nouvelle, à la fois très spirituelle et très riche: pour une fois, l’histoire d’amour est sublimée à un niveau totalement symbolique. Tout se déroule presque suspendu, au-delà de la réalité et du temps, avec une grande cohérence interne: signe qu’un sommet artistique a été atteint.

Il y a un an, vous nous avez accordé une interview au sujet de la nouvelle production de Nabucco qui ouvrait la saison 24/25 du Capitole. Lors de cet entretien vous avez qualifié l’opéra de Giuseppe Verdi d’œuvre profondément spirituelle. La Thaïs de Jules Massenet rejoint-elle cette réflexion ?

Thaïs, plus que spirituelle, est aussi une œuvre profondément religieuse : une religion vécue sans préjugés, capable de susciter à la fois le bien et le mal parmi les hommes. Le secret de chaque personnage est de trouver son propre chemin sur une voie commune, ce qui n’est pas évident.

Rusalka – Théâtre du Capitole – Octobre 2023

Le livret de Louis Gallet est-il fidèle au roman éponyme d’Anatole France ?

Plus que par fidélité au roman, ce livret est construit avec une efficacité théâtrale incroyable. Tout en adoptant un style raffiné et ciselé, la parole reste toujours claire et précise, brève et synthétique. L’action aussi est concentrée, les tableaux s’enchaînent rapidement. Deux minutes de musique condensent en réalité des émotions très vastes, et le final est un admirable mécanisme théâtral de renversement total.

Quel regard portez-vous sur cet ouvrage ? 

Thaïs a représenté pour moi la liberté d’expérimenter : c’est comme une mine d’or qui permet le luxe de l’opulence mais aussi, en même temps, de l’abstraction et de la pureté. J’ai apporté sur le plateau toute mon expérience nourrie par mes voyages à travers le monde, et j’ai découvert encore davantage dans une ville ancienne telle que Turin. Après vingt ans, je me rends compte que ce processus de synthèse ne s’arrête jamais : on affine ce qui est essentiel, on élimine ce qui ne doit pas survivre, et l’on récupère ce qu’il ne fallait pas oublier.

L’histoire de Thaïs fait-elle écho à notre présent ? 

Comme je le dis toujours, je crois plutôt que c’est notre présent qui fait écho à l’opéra. Les chefs-d’œuvre du passé ne sont pas « actuels », ils sont universels : c’est notre monde contemporain, traversé de contradictions et de contaminations, qui peut se mesurer au sublime du passé, si nous cherchons tous une capacité d’élévation.

Nabucco – Théâtre du Capitole – Septembre 2025

Quels nouveaux ouvrages allez-vous mettre en scène prochainement ?

J’ai beaucoup de projets en préparation : Tosca, Macbeth, Le Villi… et de nombreuses reprises de spectacles passés, y compris mes deux titres aux Arènes de Vérone (Aida et Nabucco). Et – surprise –  l’année prochaine, je ferai mes débuts dans le monde du cinéma grâce à un producteur visionnaire, je vais pour la première fois réaliser un film destiné à une distribution internationale, dont l’action se déroulera en partie sur Mars…

Propos recueillis par Robert Pénavayre le 23 septembre 2025

Photos : Mirco Magliocca

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