Opéra

Rusalka ouvre triomphalement la saison 22/23 de l’Opéra national du Capitole

anita hartig (Rusalka) et Aleksei Isaev (Vodnih) - 1er acte - Photo: Mirco Magliocca
Anita Hartig (Rusalka) et Aleksei Isaev (Vodnik) -photo: Mirco Magliocca

C’est un véritable tonnerre d’ovations et d’applaudissements qui vient de saluer la première de l’entrée au répertoire capitolin du chef-d’œuvre lyrique d’Antonin Dvorak : Rusalka. De nombreuses raisons à cela.

S’il est une personne qui n’a pas reçu le moindre applaudissement en direct et qui pourtant les mérite tous, c’est bien le directeur de l’Opéra national du Capitole, Christophe Ghristi car, sans lui et sa perspicacité à sélectionner les distributions et les œuvres, cette soirée n’aurait pas eu lieu. Tout simplement !

Plongée en apnée

Maîtres d’œuvre de cette réussite absolue, le chef d’orchestre Frank Beermann et le metteur en scène, décorateur, costumier, éclairagiste et chorégraphe Stefano Poda.  Le premier cité, un habitué des phalanges toulousaines, après Elektra, Parsifal et La Flûte enchantée et juste avant Tristan et Isolde cette saison, fait sonner de manière très présente et contrastée, afin d’en souligner tout le drame qu’elle contient, la géniale et romantissime partition du compositeur tchèque. Il est le contrepoint parfait à ce que la scène nous propose en une osmose qui tient du miracle. Justement, sur notre scène, Stefano Poda, à qui nous devons, ici même, une somptueuse Ariane et Barbe bleue, de Paul Dukas, nous propose une plongée, à tous les sens du terme, dans le plus fascinant et terrible conte scandinave, La Petite Sirène, d’Andersen. Vous n’avez qu’à voir les photos sur le présent article pour comprendre l’utilisation ici du mot « plongée ».  L’histoire nous le raconte, nous sommes dans le monde des êtres surnaturels aquatiques, ondins et ondines. Le plateau du Capitole se trouve donc astucieusement (un exploit technique faut-il souligner) transformé en lac. La magie du théâtre et le génie du metteur en scène vont nous faire croire que ce lac est très profond… Et c’est sidérant. Stefano Poda a requis la participation de 16 danseurs qui, au cours des premier et troisième actes vont animer ce peuple féérique d’une merveilleuse manière. Un travail de précision totalement hallucinant de beauté, d’élégance et de fluidité qui leur valut une ovation particulière au rideau final. Stefano Poda ne s’arrête pas là bien sûr. Il cerne au plus près la relation père/fille (Vodnik/Rusalka), et profite du deuxième acte pour glisser sur le moment comique du livret, celui mettant en scène Le Garde forestier et Le Marmiton, une fine allusion à la pollution des eaux en les transformant en récupérateurs de bouteilles plastiques. C’est aussi au cours de cet acte que Stefano Poda décorateur tapisse le palais du Prince d’incrustations qui ne sont pas autre chose que des circuits… imprimés, témoins de la robotisation qui semble s’être emparée de la cour princière. Les costumes et les éclairages sont aveuglants d’à-propos et somptueux de facture.  La direction des artistes est au diapason d’une réussite qui compte d’ores et déjà dans les annales de cette vénérable institution. Une institution qui nous montre sur plusieurs points combien elle sait conjuguer au prestige du passé les avancées les plus novatrices de notre temps et néanmoins respectueuses des œuvres.

Anita hartig (rusalka) - C=hanson à la Liune - 1er acte - Photo: Mirco Magliocca
Anita hartig (Rusalka) -Chanson à la Lune – photo : Mirco Magliocca

Sans spoiler quoi que ce soit, vous qui allez-vous précipiter pour voir ce spectacle, si ce n’est déjà fait, observez bien cette Lune qui accompagne le sublime chant que lui dédie Rusalka. En son cœur se trouve la seule solution à cette immortalité de l’âme à laquelle Rusalka veut confier son destin. Sublime parabole pour nous ouvrir l’inconscient de l’héroïne !

Des chanteurs au cordeau face à une partition difficile

Dès la première scène, et c’est la marque des grandes maisons, trois nymphes, dans l’eau jusqu’au cou, donnent le ton de cette distribution. Valentina Fedeneva (qui sera l’invitée des Midis du Capitole le 12 octobre), Louise Foor et Svetlana Lifar, font assaut de beautés vocales, d’unisson, de virtuosité. Leurs timbres se fondent à merveille au besoin. Un grand bravo. Survient alors Vodnik, l’Ondin, père de Rusalka. C’est le jeune baryton russe Alekseï Isaev. Sous nos yeux écarquillés, le chanteur va plonger, réapparaître, replonger, etc. Et lorsqu’il chante, sa voix est d’une puissance phénoménale. Un médium formidablement sonore et un aigu que l’on devine bien largement au-dessus du fa que cette partition lui demande, font vibrer les murs du Capitole. Et tout cela en conjuguant émotion, colère et désespoir. Vainqueur à l’applaudimètre. Rien de moins étonnant !  Arrive Rusalka. C’est la soprano Anita Hartig. Prise de rôle pour celle qui fut déjà sur notre scène Marguerite (Faust de Gounod) et Violetta (Traviata de Verdi). Le rôle est long, lourd émotionnellement, très tendu vocalement. Avec infiniment de musicalité et de maîtrise, Anita Hartig met avec panache ce rôle à son répertoire. La Jezibaba de la mezzo britannique Claire Barnett-Jones convainc surtout par une présence qui fait passer le frisson. Le jeune ténor polonais Piotr Buszewski impose d’emblée un timbre d’une lumière aveuglante et d’un métal ruisselant. Le comédien va s’accomplir dans un dernier acte à faire pleurer les pierres. Une belle découverte encore. 

Anita Hartig (rusalka), Béatrice Uria-Monzon (Le Princesse étrangère) et Piotr Buszewski (Le Prince) - 2nd acte - Photo: Mirco Magliocca
Anita Hartig (Rusalka), Béatrice Uria-Monzon (La Princesse étrangère) et Piotr Buszewski (Le Prince) – photo: Mirco Magliocca

Béatrice Uria-Monzon s’investit avec ardeur dans le rôle court mais meurtrier de La Princesse étrangère, lui conférant au travers de son soprano large et étendu, les couleurs vipérines qui amèneront au drame.  Saluons également pour leurs excellentes interventions le baryton Fabrice Alibert (Le Garde forestier et Le Chasseur), voix ample et timbre d’un beau métal, ainsi que la soprano Séraphine Cotrez dans le rôle travesti du Marmiton.

¨Piotr Buszewski (Le Prince - 3ème acte - Photo: Mirco Magliocca
Piotr Buszewski (Le Prince) – photo: Mirco Magliocca

Du haut de l’amphithéâtre capitolin se sont élevées les voix du Chœur de l’Opéra national du Capitole sous la direction de leur désormais chef titulaire, Gabriel Bourgoin. Ils ont participé eux aussi à la réussite globale de ce spectacle. Un spectacle comme certainement peu de théâtres peuvent s’enorgueillir de pouvoir produire.

Robert Pénavayre

Représentations jusqu’au 16 octobre 2022

Renseignements et réservations : www.theatreducapitole.com

Partager