Opéra

110 ans avant G F Haendel, Francesca Caccini mettait Alcina en musique

Théâtre du Capitole

Après la Didon d’Henry Purcell, abandonnée par Enée, voici, toujours sur la scène du Capitole de Toulouse, en ce 13 octobre 2024, Alcina délaissée par Ruggiero. Ces hommes ont d’excellents motifs. Le premier doit aller fonder Rome, le second délivrer le Tombeau du Christ, et, au passage, retrouver sa bien-aimée Bradamante.

Après avoir commenté les états d’âme bien compréhensibles de la Reine de Carthage, penchons-nous sur les amours « magiques » d’Alcina et de ce brave Croisé dont l’Arioste, dans les chants VI à VIII de son Roland Furieux, nous conte les aventures.

C’est une jeune musicienne, Francesca Caccini qui, avec l’aide du librettiste Ferdinando Saracinelli, va les porter sur scène et en musique en 1625 pour la cour des Médicis à Florence, à la Villa di Poggio Imperiale, sous le titre La Liberazione di Ruggiero dall’isola d’Alcina.  Fille du fameux chanteur et compositeur Giulio Caccini (1551-1618), Francesca reçoit une commande pour fêter la venue à Florence du prince Sigismond de Pologne. C’est la grande duchesse Marie-Madeleine, régente, qui lui confie la réalisation de cet opéra-ballet. Cette musicienne, faut-il le dire, est l’artiste la mieux payée d’Europe. Elle est passée dans l’histoire sous le nom de « La Cecchina ». Également cantatrice renommée, diva avant l’heure, elle aurait, dit-on, créé elle-même le rôle d’Alcina.

La représentation de ce qui est aujourd’hui considéré comme le premier opéra de l’histoire composé par une femme, donne alors lieu au déploiement d’une machinerie gigantesque autant que somptueuse. Avec ballet équestre en conclusion !  Point de tout cela, et pour cause, au Théâtre du Capitole, mais une distribution mise en espace entre deux rangées de musiciens sur un plateau installé au-dessus de la fosse orchestrale. Christophe Ghristi a invité pour l’occasion l’ensemble I Gemelli fondé en 2018 par Emiliano Gonzalez Toro, ensemble spécialisé dans l’interprétation des œuvres vocales du XVIIe siècle.

Au centre, Emiliano Gonzalez Toro (Ruggiero) -Photo: Bertrand Pichène

Les douze instrumentistes de cette phalange musicale respirent avec une parfaite maîtrise tous les affects de cette foisonnante partition. Dix chanteurs vont se partager les emplois solistes et choraux de l’ouvrage. Mais, à l’évidence, est-ce un hasard (?), cet opéra fait la part belle aux femmes. Les deux rôles principaux sont tenus par des mezzos. Dans celui d’Alcina, Alix Le Saux met avant tout en valeur une connaissance profonde du style requis, le timbre est légèrement ouaté et le bas de la tessiture fort discret, mais audible tout de même dans cette configuration.  La Melissa de Lorrie Garcia est impériale tant dans la densité et l’homogénéité de sa voix, que par une présence souveraine. Trois Sirène/Demoiselle, qui ne sont pas sans nous faire penser aux Filles-Fleurs de Parsifal, accordent leurs beaux instruments aux couleurs bien différenciées : Mathilde Etienne, qui signe aussi la mise en espace, Cristina Fanelli et Pauline Sabatier.  Natalie Pérez ajoute à son rôle de Demoiselle celui de Messagère. Dans une très belle intervention pleine de douleurs (Non so qual sia maggiore), elle annonce à Alcina la trahison de Ruggiero avec des accents que son magnifique soprano, clair et lumineux à la fois, nimbe de milles émotions.  Côté messieurs, à tout seigneur…Le rôle de Ruggiero, à vrai dire chiche en attraits, est ici heureusement sauvé de la fadeur par un Emiliano Gonzalez Toro au ténor vibrant tour à tour de fragilité amoureuse et de volonté salvatrice. Autre ténor, Juan Sancho ouvre le Prologue avec un Neptune autoritaire (Non perché congiurati) et confirmera son talent et la brillance de son organe dans le rôle d’Astolfo. Troisième ténor requis par cet ouvrage, Jordan Mouaissia chante La Vistule et Un Berger racontant ses amours à Ruggiero (Per la piu vaga e bella) avec un art consommé de la prosodie. Enfin la basse Nicolas Brooymans n’a aucun mal à imposer son Monstre d’une voix au creux abyssal (Fieri mostri), émise avec une rondeur et une projection qui laissent ouverts des répertoires plus tardifs.

Pour cette unique représentation, le Capitole est complet et se déchaîne in fine en une ovation telle que les interprètes bisseront le chœur final.

Robert Pénavayre

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