En ce 11 juillet 2025, l’Eglise du Carmel accueille, dans le cadre du Festival Peralada, un duo de pianistes devenu quasi mythique, celui formé par Katia et Marielle Labèque, deux natives du Pays Basque français nées à deux ans d’écart à peine (1950 vs 1952). Elles ont construit, sans que cela soit le moins du monde péjoratif, leur célébrité non seulement sur leurs talents mais aussi sur leurs volontés de jouer… ensemble. Katia et Marielle Labèque ont donc écumé, si l’on peut dire, tout le répertoire pour quatre mains ou pour deux pianos. Elles nous en donnent un échantillon ce soir, débutant le récital avec Ma Mère L’Oye, une œuvre écrite spécifiquement par Maurice Ravel pour quatre mains et à l’intention des enfants Jean et Mimi de ses amis Ida et Cipa Godebski. A noter que lors de la création de cette suite en cinq tableaux, ce sont de tous jeunes interprètes de 6 et 10 ans qui étaient mains contre mains au clavier. Cette partition à programme est formée d’un cycle de cinq mouvements, chacun épousant un conte cher à notre enfance : Pavane de la Belle au bois dormant, Petit Poucet, Laideronnette, impératrice des pagodes, Les entretiens de la Belle et la Bête, et se conclut plus librement par Le jardin féérique certainement inspiré par le dénouement heureux de La Belle au bois dormant. Si, clairement, le compositeur a volontairement écrit une partition à la portée des enfants techniquement parlant, il lui confie cependant toute une richesse de couleurs, de chromatismes et de modernité qui en font une œuvre profondément attachante dont les interprètes de ce soir vont faire, pour notre plus grand plaisir, leur miel en une complicité que l’on devine remonter à leurs jeunes années.
Le piano à quatre mains de Franz Schubert est déjà toute une histoire à lui seul. En effet, cet immense compositeur a su donner une place importante à ce type d’œuvres, les destinant, comme précédemment avec Ravel, à des interprètes non professionnels et donc les adaptant à des techniques parfois perfectibles. Celle qui est inscrite au programme de ce soir a une bien étrange destinée, puisque cette Fantaisie D 940 opus posthume 103, dédiée à la toute jeune Comtesse Esterházy, à laquelle Schubert vouait un amour impossible, est créée en 1828, l’année même de la mort prématurée de ce musicien à peine trentenaire. Ecrite l’année qui a vu naître ses plus grands chefs-d’œuvre, cette ultime composition pour 4 mains fait naître chez l’auditeur un trouble dont on imagine qu’il ne peut être étranger à ce dialogue que le compositeur commence à entretenir avec les portes de l’éternité qui s’entrouvrent devant lui. La communauté de pensée des deux interprètes ce soir en est l’émouvant écho.
Changement de ton, de siècle et d’écriture avec ce qui va constituer le temps fort de cette soirée : les Four Movements for Two Pianos du compositeur minimaliste américain Philip Glass (né en 1937). Créée en 2008, cette œuvre de 25’ va être finalement l’acmé de cette soirée. Familières des compositions contemporaines, Katia et Marielle Labèque vont faire déferler dans l’antique église un flot opulent de rythmes, de sonorités et de dynamiques avec une complicité et une assurance qui aboutirent à une formidable et méritée ovation à la fin de ce parcours tellurique rempli de syncopes et de cadences obstinées mais dont la nature profonde ici est profondément romantique. Cette ovation ne pouvait qu’encourager les deux pianistes à offrir une rallonge à ce récital relativement court d’ailleurs. Ce seront un extrait de la Suite Dolly pour quatre mains de Gabriel Fauré et, pour finir, un rag time particulièrement enlevé de Leonard Bernstein.
Robert Pénavayre
Photos : Festival Peralada
