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Philippe Bianconi, l’art du pianiste

Ce brillant médaillé du prestigieux Concours International Van Cliburn 1985 mène une carrière exemplaire. Philippe Bianconi parcourt le monde avec discrétion et reçoit partout un accueil digne des plus grands artistes. Chacune de ses apparitions confirme l’authenticité d’un talent fait d’extrême musicalité, de maîtrise et de liberté expressive. Bravant les intempéries de saison, il a fasciné le public du cloître des Jacobins, le 18 septembre dernier, dans un programme en forme de diptyque.

Philippe Bianconi, à l’issue de son récital du 18 septembre 2012

– Photo Jean-Claude Meauxsoone –

Schumann et Debussy se partagent ce programme, révélant affinités et oppositions dans ces répertoires si profondément pianistiques, mais d’une manière complémentaire. Du monde fantasque et imaginatif de Robert Schumann le pianiste extrait deux grandes partitions parfaitement représentatives de sa trajectoire. La folie digitale et sulfureuse de Kreisleriana, inspirée du personnage démoniaque de Kreisler, le Kappelmeister fou d’E. T. A. Hoffmann, ouvre le concert. Ce cycle de huit Fantaisies alterne la violence bouillonnante des numéros impairs, images du personnage déchiré de Florestan, et l’angoisse rêveuse des numéros pairs caractéristique d’Eusebius. L’interprète s’attache à conférer leurs spécificités à ces deux personnages inventés par Schumann. La bourrasque folle de la première pièce fait souffler un vent de tempête sur tout le cycle. Exaltations et dépressions entretiennent ce climat que jalonne l’inquiétant motif qui finit par conclure la pièce sur le mystère d’une disparition progressive dans la noirceur d’un abîme.

A cette œuvre magistrale, magistralement jouée, succède l’ultime partition que Schumann compléta avant sa tentative de suicide dans les eaux noires du Rhin : les Chants de l’aube. Cette musique désincarnée et étrange traduit-elle la tendance inexorable vers la folie qui gagne le compositeur ? Difficile de l’affirmer. Toujours est-il qu’elle est très rarement jouée. Philippe Bianconi en explore les méandres avec autorité et liberté, soulignant habilement la dualité qui oppose les épisodes de révolte à la résignation. Une résignation que prolonge la conclusion sinistre, comme une descente vers le silence de la mort.

La seconde partie, plus « souriante », réunit de larges extraits des deux livres des Préludes de Claude Debussy. Philippe Bianconi y déploie un incroyable art du toucher. Son jeu combine parfaitement la fluidité, la finesse, l’évocation poétique et la netteté des phrasés. A la suite des Danseuse de Delphes, diaphanes et subtiles, le piano devient harpe dans Voiles. Parmi les pièces du Livre I, le mystère de Des pas sur la neige suspend le temps, la tempête souffle avec violence dans Ce qu’a vu le vent d’ouest. Avec La Cathédrale engloutie l’interprète suggère subtilement les échos lointains d’un orgue et la résonance de cloches d’un autre monde. Après la très langoureuse Puerta del Vino, qui ouvre les extraits du Livre II, les moqueries de Général Lavine-eccentric sont encadrées par la poésie de deux des Préludes les plus évanescents, d’une part Les Fées sont d’exquises danseuses, d’autre part La terrasse des audiences du clair de lune. Une fois encore l’interprète traduit musicalement l’invention sans limite du compositeur dont témoigne le choix subtil des titres. La souplesse liquide d’Ondine précède l’éblouissant Feux d’artifice qui conclut le programme. Eclaboussée de lumière, cette pièce virtuose donne le vertige. Le pianiste y atteint les limites extrêmes des nuances possibles.

Parmi les trois bis exigés de Philippe Bianconi par le public conquis, La Danse de Puck (extrait du Livre I des Préludes) et Le jardin sous la pluie (bien en situation alors que quelques averses essaiment le récital !), prolongent le climat debussyste. La soirée s’achève avec le retour vers Schumann et sa première des Fantasiestücke op. 12, intitulée Des Abends. L’émotion à l’état pur…

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