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L’ouverture avec passion

La 36ème édition du festival international Piano aux Jacobins vient de s’ouvrir, le 8 septembre, sur un récital du grand pianiste d’origine américaine Nicholas Angelich, un habitué de la vie musicale toulousaine à laquelle il a déjà apporté son grand talent à plusieurs reprises. Cet artiste exigeant et original avait initialement choisi un programme réunissant Bach, Beethoven et Liszt. Finalement, la Partita n° 2 qui devait introduire la soirée fut remplacée par la Sonate n° 5 en ut mineur de Beethoven, le reste du programme restant inchangé.
Comme dans un état second, Nicholas Angelich aborde ainsi le monde pianistique du plus complexe de ses serviteurs. La tonalité d’ut mineur de cette 5ème sonate possède une charge expressive particulière pour Beethoven. Une tonalité qui trouvera son apothéose dans sa 5ème symphonie. Encore un lien numérique avec cette sonate ! L’élan initial de l’œuvre plonge l’auditeur dans un monde de violence et de passion. Sous les doigts souverains et impitoyables de l’interprète, les premières mesures déclenchent une véritable bourrasque. Les détentes, rares et angoissantes, restent épisodiques. Le propos alterne plaintes et révoltes. L’Adagio molto, d’apparence plus calme, semble recouvrir des nerfs à vif. Quant au Finale prestissimo, tout en ruptures, il impose les menaces qui pèsent sur le cœur et l’esprit, la passion la plus extrême. L’acoustique « généreuse » de la salle capitulaire du cloître des Jacobins ne favorise pas toujours la lisibilité du jeu particulièrement engagé de Nicholas Angelich. On peut observer que l’écoute se révèle très différente suivant l’emplacement de l’auditeur. Les résonances sonores de la salle sont indéniablement atténuées à l’extérieur.

Nicholas Angelich lors du concert d’ouverture du 36ème festival – Photo Classictoulouse –

Les mêmes sensations accompagnent l’exécution de la Sonate n° 21 en ut majeur, dite « Waldstein », l’un des chefs-d’œuvre pianistiques de Beethoven. L’Allegro con brio initial s’ouvre sur ce piétinement frémissant qui laisse présager la levée de l’ouragan. Nicholas Angelich déchaîne ici les éléments avec une saine fureur. Même s’il sait habilement développer toute la palette des nuances exigées par la partition. L’écriture chromatique trouve son développement expressif dans le déclenchement de tourbillons impressionnants, couronnés par l’exploration des notes extrêmes du clavier. La seconde partie de la sonate enchaîne les atmosphères les plus contrastées. L’interprète en souligne les oppositions, le cheminement inéluctable. Le thème lumineux de « l’Aurore », le deuxième sous-titre de l’œuvre, s’élève enfin dans un frémissement sensible et fort à la fois. L’interprète lui confère une intensité faite de chair et d’ardeur. Ceci jusqu’au Prestissimo final, éblouissant de débauche digitale, dans lequel le trille joue un rôle essentiel que l’interprète souligne avec ferveur. Le dernier accord résonne enfin comme une délivrance.

Toute la seconde partie du concert est consacrée à l’immense Sonate en si mineur de Franz Liszt. Dédiée à Robert Schumann, cette partition atypique se présente à l’exécutant ainsi qu’à l’auditeur comme une action musicale et théâtrale. Liszt nous raconte là une histoire, développe des caractères, crée des personnages, des situations dramatiques intenses. Et c’est bien ainsi que Nicholas Angelich conçoit et délivre cette pièce unique dans la complexité de sa forme comme dans la force de son expression.

Impressionnants accords initiaux, comme étouffés, déchaînements diaboliques des arpèges qui éclatent de couleurs ! L’interprète met ici en scène, presque visuellement, le déroulement de cette partition dont l’écriture formelle s’adapte au propos poétique sous-jacent. Sa vision prend une ampleur stupéfiante qui dépasse la simple performance virtuose. L’auditoire est tenu en haleine dans l’opéra sans voix qu’incarne cette œuvre. Les oppositions de timbre entre les épisodes infernaux et la manifestation des forces célestes sont admirablement ménagées. Lorsque résonnent les accords conclusifs, une étrange lumière éclaire le paysage sonore. Le ciel aurait-il vaincu ?

Un silence irréel prolonge la dernière note, signe de l’impact de cette interprétation sur le public. L’ovation met un certain temps à provoquer enfin un sourire sur le visage du pianiste. Celui-ci accorde enfin généreusement deux bis. Le premier ramène la paix céleste dans le cloître. Il s’agit de la Sarabande de la Partita n° 2 de Johann Sebastian Bach, celle-là même qui était initialement inscrite au programme. Comme un parfum d’éternité. Suit une douce Mazurka de Chopin, en guise de conclusion.

Belle introduction à ce 36ème festival.

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