Entretiens | Opéra

Victorien Vanoosten nous parle d’un mystérieux interlude musical

Victorien Vanoosten

Le chef d’orchestre français Victorien Vanoosten a été l’incontestable découverte de l’ouverture de la saison 23/24 de l’Opéra national du Capitole. A l’unanimité, ce qui est assez rare, celui qui a mené au triomphe ces Pêcheurs de perles a été salué par la presse pour sa prestation lors des reprises capitolines de cet opéra de jeunesse de Georges Bizet.  Aujourd’hui en répétition à Francfort sur le Main pour Martha, ce joyau de l’opéra-comique allemand signé Friedrich von Flotow, le maestro a bien voulu prendre le temps pour répondre à une question qui n’a pas manqué d’interpeller de nombreux mélomanes, une interrogation concernant les pièces symphoniques qui ont servi d’intermède entre le 1er et le 2nd acte de ces Pêcheurs de perles toulousains.

Classictoulouse : Pourquoi ces extraits des Jeux d’enfants de Georges Bizet entre le Premier et le Second acte des Pêcheurs de perles ?

Victorien Vanoosten : L’opéra est avant tout un art total, fait de musique, de théâtre, de poésie, de danse et de peinture, avec ses décors et ses costumes. Chaque nouvelle production est donc une ré-interprétation musicale mais également visuelle et même conceptuelle. Certains aménagements sont parfois nécessaires pour souligner le drame ou permettre une scénographie particulière. C’était le cas ici pour cette nouvelle production du Capitole de Toulouse, avec un décor unique en faux bambous tout en hauteur sur lequel le chœur entier devait pouvoir monter. Afin de créer un décor différent pour chaque acte avec les mêmes éléments, cette installation était donc re-configurée entre chaque acte, et sa structure imposante demandait du temps à être changée. Plutôt qu’insérer un entracte à chaque fois, la production m’a proposé de jouer un interlude musical, comme cela pouvait se faire dans le temps, même au cinéma !

C’est vous qui avez choisi cette partition. Pour quelles raisons ?

J’ai choisi Les Jeux d’enfants de Georges Bizet, tout d’abord car je trouve intéressant de comparer Leila et Nadir à deux enfants, bravant l’autorité politique et religieuse pour vivre leur innocent amour de jeunesse. Et puis ce sont, à l’origine, des pièces pour piano à quatre mains*, trop peu jouées à mon avis, que j’aime beaucoup car, petit, mon professeur de piano me les a fait travailler et je les jouais avec lui. Enfin, c’était aussi l’occasion d’entendre plus encore le merveilleux Orchestre national du Capitole dans l’un de ses répertoires de prédilection !

Victorien Vanoosten

A présent que vous connaissez de manière plus intime l’Orchestre national du Capitole, dans l’éventualité d’un retour à Toulouse, dans quelles œuvres aimeriez-vous le retrouver ?

 C’est un orchestre formidable qui a un très large panel de répertoire. Certains musiciens me confiaient même qu’ils espéraient jouer, si ce n’est la totalité, du moins une grande partie du répertoire orchestral et opératique dans leur carrière ! Evidemment, je serais très heureux de les retrouver particulièrement dans les grandes pages symphoniques françaises, mais aussi dans le grand répertoire romantique allemand, que j’ai déjà eu de nombreuses fois l’occasion de diriger à l’étranger!

Ces reprises des Pêcheurs de perles à l’Opéra national du Capitole de Toulouse ont accueilli quelque 8000 spectateurs, exactement 7832!  Quelles réflexions ce chiffe vous suggère-t-il en ces temps où il n’est pas rare de voir fleurir des articles déclarant la mort de l’opéra ? 

Je pense au contraire que l’opéra n’est pas mort, mais qu’il doit s’intégrer à la vie citoyenne, voire être l’un des vecteurs essentiels de la vie culturelle et musicale. La musique classique, avec son image parfois élitiste ou exclusive, peut parfois priver injustement de ses bonheurs une grande partie de la population. Or il n’y a rien de plus populaire que de conter une histoire en musique et en scène, c’est-à-dire jouer un opéra. Alors oui, une œuvre lyrique est parfois/souvent plus longue qu’un film, et cela remet en question le caractère dispersé de notre société actuelle qui passe sans arrêt à autre chose toutes les 3 minutes. L’opéra est le parfait sanctuaire pour prendre du temps pour soi, profiter d’un moment unique rempli d’émotions, de joies et de satisfactions personnelles.  La musique classique, c’est difficile de la jouer, pas de l’écouter !

Ce magnifique succès toulousain prouve au moins deux choses : l’opéra est bien vivant, et il attire toujours plus de spectateurs lorsque la qualité et l’exigence, qui font sa marque de fabrique depuis toujours, sont au service de l’Art et du public.

 Propos recueillis par Robert Pénavayre le 1er novembre 2023

*sur ce cycle de 12 pièces pour piano à 4 mains, Georges Bizet en a orchestré 5 en 1872 : Marche (initialement Trompette et Tambour), Berceuse (La Poupée), Impromptu (La Toupie), Duo (Petit mari, petite femme) et Galop (Le Bal)

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