Comme Charles-Marie Widor et Charles Tournemire, Louis Vierne est essentiellement connu pour ses compositions destinées à l’orgue dont il fut, avec ses prédécesseurs, l’un des grands propagateurs au tournant des XIXème et XXème siècles. Rendons grâce à la grande pianiste franco-lituanienne Mūza Rubackytė pour la révélation de ses œuvres pour « l’autre clavier ».
La vie de Louis Vierne ne fut pas un long fleuve tranquille. Né presque aveugle du fait d’une cataracte congénitale, il est finalement atteint d’un glaucome. En outre, il perd deux de ses trois fils : André meurt de la tuberculose en 1913, à l’âge de 10 ans, et Jacques, engagé volontaire à l’âge de 17 ans, est « fusillé pour l’exemple » en novembre 1917 à la suite de sa révolte devant l’horreur de la guerre.
Louis Vierne meurt le 2 juin 1937 à l’âge de 66 ans, emporté par une embolie cardiaque, alors qu’il se trouve aux claviers de son orgue, lors de son 1750ème concert à Notre-Dame de Paris. Outre son importante production pour son instrument de prédilection, dont les six symphonies pour orgue, Vierne a composé dans les domaines de la musique de chambre, de la musique symphonique, de la musique vocale, profane et sacrée, dont un nombre important de mélodies. Son œuvre pour piano se présente sous la forme de recueils à thème : Feuillets d’album, Suite bourguignonne, Silhouettes d’enfants…
La grande pianiste franco-lituanienne Mūza Rubackytė a judicieusement choisi d’enregistrer ici l’intégrale des 12 Préludes de l’opus 36 (Livre I et Livre II, et non pas le seul Livre I comme cela est indiqué par erreur sur la pochette de l’album) ainsi que le poème pour piano intitulé Solitude et le 3ème des Nocturnes de l’opus 34 (et non opus 35 comme le mentionne par erreur la pochette du CD).
Paul Claudel admirait profondément Louis Vierne à qui il écrivit : « Les autres yeux reçoivent la lumière mais les tiens la donnent… »
Comme le déclare Mūza Rubackytė elle-même, « …la musique de Vierne reflète toute l’inquiétude et la sensibilité qui accompagnent le début du XXème siècle ». Les titres des Préludes, comme Pressentiment, Souvenir d’un jour de joie, ou encore Evocation d’un jour d’angoisse témoignent de cette exaltation des sentiments, de la nostalgie jusqu’à l’anxiété morbide. La pianiste, sans en rajouter sur le pouvoir expressif de cette musique, traduit cette sensibilité exacerbée avec la profonde musicalité de son jeu. Elle parvient à concilier la spécificité de chaque pièce avec une belle continuité du discours global, au même titre que dans un cycle de mélodies.
Les quatre pièces du poème pour piano intitulé Solitude, daté de 1918, composent une œuvre particulière née dans des conditions dramatiques. Vierne l’a écrite en plein désespoir. Après la disparition tragique de son fils Jacques, son frère adoré, René, meurt lui aussi au combat. Les titres choisis pour les quatre parties de ce poème témoignent de ces circonstances : Hantise, Nuit blanche, Vision hallucinante, La ronde fantastique des revenants. D’étranges ombres habitent ces partitions.
Quant au 3ème Nocturne, il intègre, avant Messiaen, le chant d’un oiseau dans cette partition dont la magie poétique et le lyrisme évoquent une mélodie chantée.
En grande pianiste, Mūza Rubackytė investit cet univers étrange et beau avec un naturel absolu, une conviction profonde d’interprète, la plénitude d’une sonorité riche et ample qui rendent enfin justice à un répertoire trop longtemps négligé. Regrettons d’autant plus les coquilles (Luis au lieu de Louis – Vierne !) et erreurs qui affectent la présentation de cet album hautement recommandable.