On connait l’action originale menée depuis plus de quarante ans par l’ensemble toulousain Les Sacqueboutiers. Redécouvrir les cuivres anciens, réinventer une technique de jeu, reconsidérer le répertoire, l’exhumer le plus souvent, constituent le pain quotidien de ces pionniers. Ils ont, une fois encore, frappé fort dans le domaine de la découverte. A l’issue d’une recherche méthodique et passionnée, menée notamment par Philippe Canguilhem, musicologue et musicien de l’ensemble, les traces musicales et historiques de cette conquête de la Nouvelle Espagne (du Honduras au Mexique) ont pu être reconstituées.
Le programme enregistré ici rassemble des pièces musicales issues du métissage méso-américain, conséquence de l’expédition du conquistador Hernán Cortés en Amérique Centrale. C’est le cas des œuvres de Gaspar Fernandes (v. 1565-1629), compositeur d’origine portugaise dont l’essentiel de la production, rassemblé dans le « Cancionero de Gaspar Fernandes », a été retrouvé dans les archives de la bibliothèque d’Oaxaca. Parmi les autres œuvres de ce programme, on relève les pièces extraites des manuscrits de Santa Eulalia, et qui sont ici gravées pour la première fois sous cette forme musicale.
Les artistes réunis pour ce programme constituent le noyau dur de l’ensemble Les Sacqueboutiers. Aux côtés des deux directeurs artistiques, Jean-Pierre Canihac, cornet à bouquin, et Daniel Lassalle, sacqueboute, on retrouve Philippe Canguilhem à la chalemie (ancêtre du hautbois), Laurent Le Chenadec à la doulciane (ancêtre du basson), Florent Tisseyre, aux percussions, Yasuko Uyama-Bouvard, à l’orgue positif, et Eduardo Ergüez, à la guitare.
Tout au long de cet itinéraire musical, la virtuosité naturelle et sans ostentation des musiciens le dispute à la musicalité, au déploiement de couleurs inattendues, de rythmes complexes, hérités aussi bien de l’origine hispanique des partitions que de leur enrichissement au contact des civilisations découvertes.
Quatre chanteurs, issus en majorité de la culture hispanique, animent une partie vocale d’une impressionnante vitalité. La soprano argentine Adriana Fernandez illumine ses interventions de sa fraîcheur vocale. L’alto basque espagnol David Sagastume projette son beau timbre chaleureux, alors que le ténor, espagnol lui aussi, Victor Sordo, déploie une voix d’une belle fluidité. La basse Daniele Carnovich, d’origine italienne, apporte le « creux » qui convient à ce quatuor vocal si intensément en situation.
Les textes chantés s’avèrent de diverses origines. Si la majorité d’entre eux est rédigée en espagnol, figurent également ici des chants composés sur des paroles aztèques ou quetchua, comme ce Hanacpachap de Juan Peréz Bocanegra. Aux pièces qui projettent une ombre douloureuse sur les descriptions des incroyables cruautés qui balisent cette conquête, s’opposent les anecdotes les plus risibles. Un reflet étonnant des activités humaines.
Parmi les 19 plages contrastées et colorées de cet album, certaines manifestent un humour étonnant comme cet irrésistible Guaracha « Ay Que Me Abrazo » de Juan Garcia de Zéspedes, sorte de chanson satirique et burlesque ponctuée de « Ay » suggestifs…
La découverte de ce répertoire original et vivifiant s’accompagne d’un déploiement évident de talents musicaux.