Concerts

Tragique méditation vers le néant

L'Orchestre Philharmonique de Radio-France dirigé par Myung-Whun Chung - Photo Classictoulouse -

Le 8 décembre dernier, l’Orchestre Philharmonique de Radio France, sous la direction de son Directeur musical honoraire, Myung-Whun Chung, étaient les invités des Grands Interprètes. Le programme proposé par le chef et son orchestre se limitait à une seule œuvre, l’exceptionnelle Symphonie n° 9 de Gustav Mahler. Une partition particulière par sa portée expressive et l’émotion qu’elle génère.

De 2000 à 2015, Myung-Whun Chung a été le Directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Parallèlement à cette fonction, il n’a cessé de diriger les plus grands orchestres, en Europe comme aux États-Unis et en Asie. Le voici donc de retour à la tête de cette belle phalange comme Directeur musical honoraire. La complicité qui le lie à ces musiciens reste exemplaire, comme ce concert du 8 décembre le démontre amplement.

La Symphonie n°9 de Gustav Mahler, qui occupe tout le programme, est considérée comme le testament du compositeur. Elle est en effet la dernière de ses symphonies achevées, puisque seul le premier et sublime mouvement de sa 10ème a pu être écrit.

On sait que cette symphonie coïncide avec une période particulièrement difficile dans la vie du compositeur. 1907 marque en effet la fin de son contrat de directeur de l’Opéra de Vienne, après dix ans de fonction, le décès de sa fille Maria, âgée de quatre ans, et la découverte de son état physique alarmant qui affecte considérablement toutes ses activités. Il n’assistera d’ailleurs pas à la création de cette symphonie qui aura lieu le 26 juin 1912 à Vienne, sous la direction de Bruno Walter, plus d’un an après sa disparition.

La mort imprègne en effet toute l’œuvre structurée de manière très inhabituelle, deux mouvements lents encadrants deux sections rapides. Dès les première notes qui émergent du silence, l’Andante commodo ouvre ce voyage vers l’inconnu sur les notes de la harpe qui s’échappent comme un lourd panache funèbre. Néanmoins, les violents sursauts, les convulsions dramatiques qui affectent toute cette première partie, écartelée entre résignation et révolte, explosent avec une vigueur désespérée. Sous la baguette de Myung-Whun Chung, qui dirige sans partition, la tension qui se manifeste dès ce premier volet ne se résoudra qu’à la fin de l’œuvre. Le chef insiste ici sur la tragédie qui se noue, quitte à obtenir de l’orchestre une certaine rugosité sonore. Les doutes qui s’insinuent dans la moindre brèche trouvent d’étonnantes traductions instrumentales. La multiplication des solos, certains particulièrement redoutables d’exécution, met en évidence les qualités de chaque pupitre. Ainsi en est-il de cet incroyable duo entre le cor solo et la flûte solo, admirablement phrasé par les deux musiciens. Saluons également la virtuosité subtile de la trompette solo, ainsi que celles du premier violon et du premier alto.

Myung-Whun Chung – Photo Classictoulouse –

Avec le Scherzo qui suit, la rupture s’impose. Tout imprégné de cette atmosphère de Ländler paysan, ce mouvement alterne ici les humeurs les plus diverses. Le chef, applique les indication du compositeur : « Dans le tempo d’un Ländler confortable. Un peu lourd et très rude », tout en pratiquant un humour grinçant.

Le troisième mouvement, baptisé « Rondo burlesque » rassemble des éléments disparates qui contrastent, entre vivacité ironique et parodie macabre. L’agitation fébrile s’interrompt à l’apparition sublime du thème qui irriguera tout le mouvement final. Un grand bravo une fois encore au trompette solo, qui illumine cette intervention stratégique, si délicate d’exécution. Le mouvement s’achève sur une véritable frénésie suscitée par le chef.

Et c’est enfin la lente marche vers le néant qui ouvre ce poignant Adagio final. La mélodie infinie, qui émerge du silence pour finalement s’y dissoudre, évolue lentement de la douleur profonde vers l’apaisement ultime. Comme un baume sur les blessures de la vie, la matière sonore semble se diluer peu à peu dans une éternité qui abolit le temps lui-même. Une fois encore le solo de cor, comme un message d’humanité, bouleverse les cœurs et les esprits. Jusqu’aux dernières notes qui plongent dans une sorte de vide sans fin. Le lourd silence qui prolonge les derniers échos de ce final en dit long sur l’impact d’une telle œuvre à la fois sur les musiciens et sur le public.

Longuement acclamés par le public, Myung-Whun Chung et ses musiciens ne cessent de se féliciter mutuellement. Cette belle entente qui se manifeste ici est à l’évidence un gage de réussite !

Serge Chauzy

Programme du concert donné le 8 décembre 2022 à 20 h à la Halle aux Grains de Toulouse :

  • G. Mahler : Symphonie n° 9

Partager