Cette célèbre citation de Paul Verlaine caractérise bien l’art d’interprète que le chef néerlandais a mis au service des œuvres dirigées ce 25 avril dernier à Toulouse. Ce soir-là, Ton Koopman, à la tête de l’Orchestre national du Capitole, abordait un répertoire qui lui est familier : Mozart et Pergolèse.
Après sa première venue à la tête de la formation symphonique toulousaine, en octobre 2023 à l’occasion d’une exécution mémorable du Requiem de Mozart, Ton Koopman associe cette fois le plus célèbre des compositeurs autrichiens à l’un des grands représentants de l’école napolitaine de musique de la première moitié du XVIIIe siècle, Giovanni Battista Pergolesi (Jean-Baptiste Pergolèse sous sa forme francisée).
Rappelons que le chef d’orchestre néerlandais, élève de Gustav Leonhardt, est également organiste, claveciniste, et chef de chœur. Alors qu’il a réalisé, en concert et au disque, une intégrale des cantates religieuses de Johann Sebastian Bach, son répertoire ne cesse de s’élargir.
Son concert du 25 avril s’ouvre sur l’une des grandes partitions de Mozart, sa Symphonie n° 36 baptisée « Linz », du nom de la ville où elle a été créée. Les circonstances de sa composition paraissent légendaires. Alors que le compositeur fait étape à Linz, on lui propose de jouer un peu de sa musique. Il n’a pas de partition dans ses bagages ? Qu’à cela ne tienne, il compose la Symphonie n°36 en une journée !

– Photo Classictoulouse –
Ton Koopman insuffle à toute l’œuvre une vigueur joyeuse tout en éclairant les équilibres de son instrumentation. Transparence et vitalité caractérisent son approche. Après la touche de mystère qui ouvre le premier volet, Adagio. Allegro spiritoso, l’animation du discours se pare d’un soin tout particulier des nuances, d’une recherche raffinée des phrasés que les cordes traduisent avec un vibrato subtilement économe et que les pupitres de vents agrémentent de solos toujours impeccablement exécutés. L’Andante évoque une sorte de discussion, d’échange de questions-réponses. Au jeu souriant du Menuet et de son Trio succède la volubilité du final Presto qui déroule son discours pétillant comme un final d’opéra. Le public qui emplit une Halle aux Grains pleine à craquer manifeste bruyamment sa joie.
Toute la seconde partie de la soirée est consacrée au sublime Stabat Mater de Giovanni Battista Pergolesi. Pour cela, aux sections de cordes de l’orchestre et à l’orgue se joignent les voix angéliques de la Maîtrise de Toulouse, admirablement préparée et dirigée par son fondateur, Mark Opstad. Deux solistes féminines, la soprano belge Ilse Eerens et la mezzo-soprano britannique Sophie Gallagher se succèdent dans l’alternance des airs et duos. Cette dernière œuvre du compositeur, qui meurt des suites d’une tuberculose en 1736, à l’âge de 26 ans, comporte douze parties d’un texte liturgique datant du début XIIIe siècle et attribué à Jacopone da Todi.

L’émotion la plus fervente habite toute cette exécution. A commencer par la première section, Stabat Mater dolorosa, que caractérise une série de dissonances douloureuses, comme une profonde blessure soulignée par l’entrée des voix du chœur. Les choix de tempi, de phrasés et de nuances de la direction soulignent la continuité du discours dans la diversité des affects. Les interventions solistes s’intègrent parfaitement dans celles du chœur. Le timbre lumineux de la soprano émeut dès sa première intervention, Cujus animam gementem, dans laquelle la voix de la soliste comme les traits des cordes traduisent les sanglots évoqués dans le texte. Si le registre grave de la mezzo-soprano manque de projection sonore, les arias qui lui sont dévolus complètent harmonieusement cette alternance entre douleur et espoir. Parmi les duos qui réunissent les deux solistes, O quam tristis constitue un grand moment d’expression musicale de la douleur. D’une manière générale, la manière dont les notes traduisent le contenu des mots bénéficie d’un accomplissement musical dont la direction attentive de Ton Koopman, grand maître de l’expression artistique, est responsable.

L’ovation qui explose à la suite de l’Amen final ne cesse de rappeler sur scène les artisans de cette réussite. Les remerciements que le chef adresse à chacun des pupitres de cordes ainsi qu’à l’organiste se succèdent avec chaleur. Une acclamation particulière s’adresse légitimement aux jeunes chanteurs de la Maîtrise et à leur chef Mark Opstad dont il faut redire l’importance et la qualité du travail. Le public manifeste longuement encore, au point qu’une reprise de l’Amen conclusif prolonge encore le bonheur apporté par cette soirée.
Serge Chauzy
Programme du concert :
- Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Symphonie n° 36 « Linz »
- Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736) : Stabat Mater