La venue, pour la première fois à la tête de l’Orchestre national du Capitole, de Ton Koopman, a brillamment démontré les grandes capacités d’adaptation des musiciens toulousains à tous les styles de musique. Le 26 octobre dernier a eu lieu le premier concert dirigé avec une fougue impressionnante par le grand chef et claviériste néerlandais. Le fait que le Requiem de Mozart occupe le cœur de cette soirée n’a en rien bridé la vitalité de sa direction.
Musicien et musicologue passionné de la génération « baroqueuse », Ton Koopman poursuit une carrière musicale exceptionnelle. Rappelons qu’il a réalisé l’ambitieux défi d’enregistrer l’intégrale des cantates de Johann Sebastian Bach.
Tout au long de ce concert du 26 octobre (concert répété le lendemain) on assiste à une admirable adaptation du jeu des musiciens au style baroque et classique dont le chef est un fin connaisseur. L’utilisation considérablement réduite du vibrato des cordes, l’absence de rubato intempestif, la recherche d’une articulation différenciée des phrasés restituent une manière de jouer proche de celle que certains qualifient d’« historique ». L’utilisation d’instruments modernes s’avère ici voisine de celle des instruments d’époque.
Cette impression frappante se manifeste dès l’exécution introductive de la brillante Suite pour orchestre n° 3 en ré majeur BWV 1068 du Cantor de Leipzig. On a, à une certaine époque, parlé de Bach « dégraissé ». Au-delà de l’expression quelque peu familière, reconnaissons que ce jeu éclairé confère à l’œuvre une transparence lumineuse. Saluons la beauté éclatante du trio de trompettes, la rondeur des sonorités des vents en général et l’imagination de cette pratique de l’articulation « baroque ». Ton Koopman choisit toute une panoplie de nuances dynamiques qui animent le discours. Le célébrissime « Air », si souvent romantisé, prend ici la forme d’une dentelle riche et subtile.
A la suite de ce grand classique du répertoire baroque, le Concerto pour mandoline et orchestre en sol majeur de Johann Nepomuk Hummel constitue une rareté magnifiquement révélée ce soir-là. Julien Martineau, le soliste incontournable de cette exécution, a été nommé Directeur honoraire de la plus prestigieuse organisation internationale consacrée à la mandoline, The Classical Mandolin Society of America. Ce très actif professeur au Conservatoire de Toulouse est un défenseur familier de cette œuvre originale de Hummel. Dès les premières notes de l’Allegro moderato e grazioso, il déploie un jeu d’une fluidité, d’un raffinement extrêmes. Profond musicien autant que brillant virtuose il développe, avec un orchestre particulièrement attentif, un dialogue touchant. Notons que la grande et riche cadence qui conclut le concerto est l’œuvre de son interprète qui perpétue ainsi une belle tradition de l’époque de la composition. Les applaudissements fournis d’un public nombreux et charmé obtiennent de Julien Martineau un bis pour lequel l’orchestre et Ton Koopman l’accompagnent avec dévotion. Il s’agit du Largo du Concerto pour mandoline RV 425 en do majeur d’Antonio Vivaldi. Une prolongation de rêve !
Toute la seconde partie de la soirée est consacrée à cette fameuse Messe de Requiem d’un Mozart en fin de vie. Une grande œuvre qui a fait couler beaucoup d’encre. Au-delà des commentaires et des légendes suscités, reconnaissons que la beauté et la grandeur de cette partition laissée inachevée par Mozart est le résultat de multiples tentatives d’achèvements. Comme il l’indique dans le très intéressant entretien avec Ton Koopman qui figure dans le programme de salle, le chef assume et justifie son choix de la version complétée par l’élève de Mozart, Franz Xaver Süßmayr.
La conception du chef se distingue nettement des versions « romantisées » de l’œuvre. Ses tempi assez vifs découlent de ce paradoxe qu’il défend avec conviction : « C’est une œuvre porteuse de vie ! ». Et c’est bien ainsi qu’il enchaîne les épisodes contrastés de cette messe. Dès l’Introitus et le Kyrie, la musique avance avec une fervente ardeur. Très spectaculaire, le Dies irae résonne véritablement comme le jour de colère qu’il proclame. Le beau solo de trombone du Tuba Mirum ainsi que la plupart des introductions orchestrales bénéficient du soin avec lequel l’orchestre suit les indications du chef. C’est notamment le cas des touchants Ricordare et Lacrimosa. Jusqu’au conclusif Lux aeterna, la tension soutenue par la direction ne se relâche jamais. Les contrastes expressifs, rythmiques et harmoniques construisent une exécution vivifiante et animée.
Il faut dire que l’Orchestre ainsi que le valeureux Chœur de l’Opéra national du Capitole s’adaptent avec un professionnalisme absolu aux conceptions du chef. Le quatuor de solistes vocaux entre peu à peu dans ce jeu. La soprano Elisabeth Breuer, la mezzo-soprano Lara Morger, le ténor Kieran White et le baryton Benjamin Appl progressent dans cette exécution d’une parfaite cohérence et d’une vitalité irrésistible.
L’accueil enthousiaste du public est tel que Ton Koopman offre un bis inattendu mais très représentatif de cette exécution : la reprise du Dies irae du Requiem, d’une ardeur extrême.
Signalons que ce programme est redonné le 27 octobre dans les mêmes conditions. Une belle occasion d’élargir un public profondément attaché à cette œuvre mythique.
Serge Chauzy
Programme des concerts donnés les 26 et 27 octobre 2023 à la Halle aux Grains de Toulouse :
- J. S. Bach : Suite pour orchestre n°3 en ré majeur, BWV 1068
- J. N. Hummel : Concerto pour mandoline et orchestre en sol majeur, S 28
- W. A. Mozart : Messe de Requiem en ré mineur, KV 626
