Concerts

Piano flamboyant, rutilance orchestrale

L'Orchestre national du Capitole dirigé par Robert Trevino - Photo Classictoulouse -

Le 12 novembre dernier, l’Orchestre national du Capitole retrouvait à sa tête le chef américain Robert Trevino et recevait la jeune pianiste Marie-Ange Nguci, que le festival Piano aux Jacobins avait révélée au public toulousain dès 2018. Le succès de ce concert particulièrement consistant fut tel que plusieurs bis ont été nécessaires pour satisfaire une Halle aux Grains chauffée à blanc !

Rappelons que Robert Trevino offrait, le 27 novembre dernier dans ce même lieu, une version originale, complète et particulièrement convaincante de la première symphonie de Gustav Mahler. Cette fois il réunit trois compositeurs que rapproche un sens aigu de l’orchestration : Maurice Ravel, Sergueï Rachmaninov et Richard Strauss.

Première œuvre majeure pour orchestre seul du musicien alors âgé de trente-deux ans, la Rapsodie espagnole de Ravel ouvre la soirée. Cette partition témoigne de l’influence hispanique de la mère du compositeur, d’origine basque, qui lui chantait souvent des mélodies de son pays. Les quatre épisodes de la partition brossent un tableau plus rêvé qu’authentique d’une Espagne idéalisée. Robert Trevino en souligne les riches couleurs orchestrales au travers d’un choix de tempi retenus, mais toujours précis et vivifiants. De la poésie soyeuse du Prélude à la nuit à l’explosion lumineuse de la Feria finale, les pupitres des vents jouent ici un rôle central, conférant à l’ensemble une rutilance chaleureuse.

La jeune pianiste Marie-Ange Nguci, née en Albanie et qui fut l’élève de Nicholas Angelich au Conservatoire de Paris se lance ensuite dans une exécution éblouissante de la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Sergueï Rachmaninov. Une autre r(h)apsodie bien différente de celle de Ravel !

La jeune pianiste Marie-Ange Nguci, soliste de la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov – Photo Classictoulouse –

Plus qu’une simple rhapsodie, cette brillante partition se présente comme une série de variations sur le célèbre thème du Caprice pour violon seul n° 24 de Niccolò Paganini. Le point commun entre les deux compositeur réside à l’évidence dans un déploiement virtuose exceptionnel qui réclame de la part de l’interprète une technique d’acier. Reconnaissons que Marie-Ange Nguci maîtrise ce « délire des doigts » à la perfection. Mais son jeu ne se limite pas à cet aspect de l’œuvre. De la poésie des épisodes de rêve à l’intensité morbide des citations du Dies Irae, de la ferveur percussive à l’expression d’un lyrisme toujours présent, elle enrichit cette succession d’états d’âme d’une musicalité rare. L’orchestre soutient ces somptueux déploiements du piano avec une ferveur enthousiaste qui parfois les submerge. Mais la fusion entre les deux partenaires reste permanente.

L’accueil triomphal que le public réserve à cette interprétation obtient de la pianiste un double bis. De manière à renouer avec la première œuvre inscrite au programme, Marie-Ange Nguci retrouve Ravel. Mais quelle surprise ! La musicienne reprend toute la fin du Concerto pour la main gauche, depuis la longue cadence jusqu’à l’accord final. Et ceci sans orchestre, bien évidemment. Une véritable performance totalement inédite ! Devant l’insistance des applaudissements, elle offre une pièce rare de Camille Saint-Saëns intitulée mystérieusement : Les cloches Las Palmas. Une découverte intéressante pour de nombreux auditeurs…

Le chef invité Robert Trevino – Photo Classictoulouse –

La seconde partie du concert est consacrée au vaste poème symphonique de Richard Strauss, Ein Heldenleben, autrement dit, Une vie de héros. Cette œuvre d’un compositeur de trente-quatre ans prend les allures d’une autobiographie précoce. Strauss, jeune, éprouve curieusement le besoin de se mettre en scène. Car le héros en question n’est autre que le compositeur lui-même ! Dès l’ouverture de cette fresque, Robert Trevino impose une intensité éblouissante des cordes graves. L’« héroïsme » ne connaît pas de trêve ! Les thèmes évoqués par les sous-titres jaillissent avec force et conviction. Après les grimaces des « Adversaires du héros », suggérées par les bois, intervient le premier violon solo, incarnation sonore de « La compagne du héros ». On découvre alors le talent de la jeune violoniste Jaewon Kim, qui occupe ce soir-là ce poste stratégique de « leader », selon la dénomination anglo-saxonne. Virtuosité sans faille, parfaite musicalité, richesse du timbre, la jeune musicienne impressionne. Il se dit que l’on pourrait la revoir occuper ce poste…

Dans l’épisode de « La bataille du héros », une partie du pupitre des trompettes migre vers les coulisses, établissant ainsi un dialogue spatial suggestif avec les musiciens du plateau. Les déchaînements éblouissants de l’ensemble des cuivres doivent être soulignés. Les aigus triomphants des trompettes, l’ampleur et la musicalité des cors, instruments « héroïques » par essence, mais aussi celles des trombones et des tubas, aux graves vertigineux, traduisent avec ferveur les propos supposés du héros.

Le chef invité coordonne avec talent toutes ces forces bouillonnantes qui reçoivent un accueil délirant du public. Au point que Robert Trevino et son orchestre offrent un bis orchestral inattendu mais ô combien bienvenu, la célèbre Danse hongroise n° 5 de Johannes Brahms. Nouvelle explosion d’applaudissements qui augure bien d’une collaboration prolongée du chef avec notre bel Orchestre.

Le programme du concert donné le 12 novembre 2022 à la Halle aux Grains de Toulouse :

  • M. Ravel : Rapsodie espagnole
  • S. Rachmaninov : Rhapsodie sur un thème de Paganini
  • R. Strauss : Ein Heldenleben (Une Vie de héros)

Serge Chauzy

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