Concerts

Les Sacqueboutiers et l’Espagne du Siècle d’Or en visite à Luchon

L'orgue Cavaillé-Coll de l'église Notre-Dame de l'Assomption et les musiciens des Sacqueboutiers - Photo Classictoulouse -

Le 14 juillet dernier, la fête avait un goût d’Espagne du côté des Pyrénées. La très active association “Les Voix de l’Orgue Cavaillé-Coll de Luchon”, AVOCaCoL, invitait l’ensemble de cuivres anciens de Toulouse, Les Sacqueboutiers, à venir dialoguer avec cet instrument précieux de la belle église Notre-Dame de l’Assomption, de Bagnères de Luchon, autour d’un programme original intitulé Chamada. Composée de pièces musicales du « Siècle d’or » espagnol, cette soirée festive a brillamment témoigné de la richesse d’un répertoire trop rarement abordé.

La dynamique association “Les Voix de l’Orgue Cavaillé-Coll de Luchon”, AVOCaCoL, se donne pour objectif de participer à la mise en valeur et au rayonnement de l’orgue de l’église Notre-Dame de l’Assomption, en partenariat avec la paroisse et la ville de Luchon, à travers l’organisation d’animations culturelles, de concerts, de conférences, de visites ou de master classes. Sous la présidence d’Erwan Letertre, le magnifique instrument, œuvre du légendaire facteur d’orgue Cavaillé-Coll, classé Monument Historique, constitue un pôle d’attraction d’une grande valeur culturelle. On se souvient du somptueux concert consacré à César Franck, donné dans ce même cadre le 23 juillet 2022 par Michel Bouvard, organiste titulaire de la Basilique Saint-Sernin de Toulouse.

Les musiques jouées lors de ce concert du 14 juillet témoignent donc de la richesse d’une époque faste pour l’Espagne sur le plan de l’art en général, de la musique en particulier. Cette période débute en l’an 1492, date de l’unification de l’Espagne et de la découverte de l’Amérique. Mais ce sont les premières décennies du XVI° siècle qui voient le réveil et la consolidation de la culture hispanique. Le « Siècle d’Or » couvre en fait les XVI° et XVII° siècles durant lesquels se produisent l’ascension et la décadence du pouvoir espagnol, pendant que dans le domaine esthétique se succèdent les deux grands mouvements de la Renaissance et du Baroque.

Ce soir de fête nationale, les musiciens de l’ensemble Les Sacqueboutiers sont réunis autour de l’orgue historique Cavaillé-Coll tenu par Yasuko Bouvard. Il s’agit de Jean-Pierre Canihac, cornet à bouquin, Philippe Canguilhem, chalemie, Lucien Carrière, sacqueboute, Laurent Le Chenadec, doulciane, et Florent Tisseyre, percussions : autant d’instruments dits « anciens » (ou copies d’anciens) présentés par les musiciens eux-mêmes.

Les Sacqueboutiers. De gauche à droite : Florent Tisseyre, Jean-Pierre Canihac, Philippe Canguilhem, Lucien Rivière, Laurent Le Chenadec et Yasuko Bouvard – Photo Classictoulouse –

Comme l’explique clairement Philippe Canguilhem, cette formation instrumentale, baptisée « Ministriles », permettait de remplacer au mieux l’orgue dans les églises qui en étaient dépourvues. La diversité des timbres reste celle des jeux de l’orgue, et permet une parfaite clarté polyphonique, tout en gardant à l’ensemble un son d’une grande homogénéité. En outre, lors de ce concert, un dispositif visuel permet aux spectateurs d’observer, sur un grand écran, les musiciens situés sur la tribune ainsi que les claviers et les jeux d’orgue activés par Michel Bouvard, devenu l’assistant indispensable de son épouse Yasuko !

Les œuvres présentées éclairent parfaitement ce dialogue entre l’orgue et les instruments à vents, dans une acoustique qui respecte l’équilibre souhaitable entre les deux entités.

Le programme s’ouvre et se referme sur deux pièces illustrant des « batailles », sujet musical courant à l’époque. De Francisco Correa de Arauxo (1575-1663), le Tiento de 1° tono (Sobre la Batalla de Morales) trouve donc son écho dans la Batalla de 6° tono de Jusepe Ximenez (1600-1672). Entre ces deux partitions brillantes et solennelles alternent des pièces pour tous les instruments et celles réservées à l’orgue seul.

Dans la première catégorie, un autre Tiento de Batalla, celui signé Sebastian Aguilera de Heredia (1570- ?), évoque une impressionnante ascension. Le Canto Llano « Todo el mondo en general », de Correa de Arauxo, véritable « tube » de l’époque, s’illustre par une séquence d’échanges sous forme de solos instrumentaux virtuoses, admirablement réalisés. On retrouve cette même recherche de jeu d’échanges dans le Tiento Lleno de 1° tono, de Juan Cabanilles (1644-1712), alors que Diego Ortiz (1510-1570) apparaît comme un maître de la variation dans son Passamezo, Ricercar IV, La Spagna, Ricercar II. Toutes ces pièces resplendissent de richesse colorée et rythmique.

Yasuko Bouvard à l’orgue – Photo Classictoulouse –

Trois solos particuliers donnent la parole exclusive à l’orgue. Une ascension progressive de l’ombre à la lumière caractérise la belle fantaisie du Tiento de 4° tono de Correa de Arauxo. Dans la Passacalle de Juan Cabanilles, la complexité croissante s’accompagne d’une richesse de couleurs que Yasuko Bouvard, experte en la matière, sait solliciter de son instrument. Enfin, la pièce d’Antonio de Cabezon (1510-1566), Differencia sobre el canto de Cavallero, s’écoute comme un chant plein de ferveur.

Chaleureusement ovationnés, les musiciens offrent un bis contrasté de Luis Milán (v.1500-v.1562) composé d’une Pavane et d’une Gaillarde.

Néanmoins la soirée ne s’arrête pas là. Sollicités par Erwan Letertre, le Président de l’association AVOCaCoL organisatrice de cet événement, les musiciens ne se font pas prier pour exécuter, circonstance oblige, une version « d’époque » de La Marseillaise. Le public debout mêle sa voix à l’hymne national que bien peu de spectateurs ont dû entendre ainsi !

Un grand bravo aux interprètes et souhaitons longue vie à l’association “Les Voix de l’Orgue Cavaillé-Coll de Luchon” grâce à laquelle de tels moments sont rendus possibles. A cet égard, signalons le concert qui sera donné le 22 juillet prochain à 20 h 30 sur ce même orgue par Michel Bouvard, au bénéfice de l’association. Le programme sera composé de quelques-unes des œuvres les plus célèbres de Johann Sebastian Bach. A ne surtout pas manquer !

Serge Chauzy

Le site Internet des Sacqueboutiers : https://www.les-sacqueboutiers.com/

Partager