Dans le cadre de la saison des Grands Interprètes, le grand pianiste toulousain offrait, le 29 avril dernier à la Halle aux Grains un récital en forme de défi. Son jeu flamboyant a déclenché un véritable triomphe de la part d’un public conquis aussi bien par l’exigence du programme musical que par l’engagement de son interprète. Bertrand Chamayou confirme là l’ampleur de son statut d’artiste international de premier plan.
Chaque retour de Bertrand Chamayou vers sa ville de naissance constitue un événement culturel important. L’universalité de son répertoire lui permet d’aborder tous types de musique, de la période baroque à la plus actuelle des productions contemporaines. Le soliste ne recule devant aucun type de défi. On se souvient qu’en 2011, au cours du 32ème festival Piano aux Jacobins, il n’avait pas hésité à programmer sans complexe l’exécution intégrale dans la même journée des trois Années de Pèlerinage de Franz Liszt !
Sa proximité avec l’œuvre de Maurice Ravel l’a conduit à jouer puis à enregistrer en 2016 l’intégrale de son œuvre. À l’occasion des 150 ans de la naissance du compositeur, Bertrand Chamayou est récemment revenu vers son monde pianistique avec un nouveau et très bel album, intitulé « Ravel fragments », chroniqué sur ce site.
Le contenu de ce récital toulousain du 29 avril révèle une recherche de son interprète sur les sources auxquelles l’art de Ravel s’est abreuvé. Ainsi, si le cœur battant du programme est consacré aux pièces les plus emblématiques du compositeur basque, celles-ci sont précédées et suivies de partitions inspirées de spécificités évocatrices proches. Dans cette succession, somme toute logique, d’œuvres intensément liées, l’extrême virtuosité occupe une place prépondérante. Néanmoins, si Bertrand Chamayou franchit avec une aisance éblouissante tous les obstacles techniques de chaque étape du programme, il sait parfaitement mettre cette virtuosité au service de la musique et de son pouvoir d’expression. Son jeu soigne avec finesse les détails de chaque étape, autant qu’il en conduit la grande ligne générale.
La Légende n° 2 « Saint-François de Paule marchant sur les flots », de Franz Liszt, qui ouvre le concert, joue le rôle d’un prélude flamboyant. L’ardente prière s’y exprime avec ferveur au sein d’un déferlement liquide aussi impressionnant que tempétueux.

Le vaste épisode consacré à l’œuvre de Maurice Ravel s’ouvre alors sur les cinq pièces qui composent le recueil des Miroirs. De l’agitation de Noctuelles aux vibrations lumineuses de La vallée des cloches, la poésie la plus intense et la plus diverse du jeu de l’interprète irrigue autant l’ombre d’Oiseaux tristes que la houle d’Une barque sur l’océan ou encore l’ardeur rythmique et caricaturale d’Alborada del grazioso.
Le triptyque de Gaspard de la nuit, ouvre la seconde partie du récital. Composé d’après le recueil de poèmes en prose d’Aloysius Bertrand, il constitue probablement la partition la plus exigeante de toute l’œuvre pianistique de Ravel. Après Ondine et son évocation renouvelée de l’élément liquide, Le Gibet, sombre méditation macabre, est suivi du presque injouable Scarbo dans lequel Ravel s’était fixé le défi de dépasser la virtuosité déjà redoutable de l’Islamey de Balakirev que l’on retrouvera en fin de concert. Bertrand Chamayou, non seulement assume avec panache l’incroyable déploiement technique de toute la partition, mais il y explore avec finesse toutes les subtilités expressives. Une ovation unanime salue d’ailleurs la performance.
C’est à Mili Balakirev que revient de conclure ce voyage. Les deux premières pièces apaisent quelque peu la tension déployée précédemment. L’Alouette, une transcription virtuose d’après la mélodie populaire relevée par Mikhael Glinka, est suivie de la Berceuse en en ré bémol majeur dans laquelle Balakirev ne se prive pas d’animer quelques éléments percutants.
C’est sur la « fantaisie orientale » Islamey que se referme ce programme particulièrement exigeant. Réputée comme étant l’une des partitions les plus redoutables de tout le répertoire pour piano seul, cette évocation semble réservée aux pianistes les plus téméraires… ou les plus inconscients ! A coup sûr, Bertrand Chamayou fait partie de la première catégorie. Il déploie dans cette exécution éblouissante un véritable feu d’artifice de couleurs et de rythmes qui finira par déchaîner l’enthousiasme de l’ensemble du public. Une ovation debout provoque une succession de retour du pianiste sur le plateau de la Halle aux Grains. Jusqu’à sa prise de parole dans laquelle il témoigne de sa joie de se retrouver dans SA ville. Il évoque aussi la mémoire du grand pianiste Vlado Perlemuter (1904-2002), qui a pu lui transmettre l’esprit de Ravel avec lequel il a travaillé dans sa jeunesse. Bertrand Chamayou joue alors, en hommage à son grand aîné, Jeu d’eaux, de Ravel, comme pour boucler la boucle.
Serge Chauzy
Programme du concert
- F. Liszt : Légende n°2, St François de Paule marchant sur les flots
- M. Ravel : Miroirs / Gaspard de la nuit
- M. Balakirev / M. Glinka : L’Alouette
- M. Balakirev : Berceuse, Mazurka n°2, Islamey (fantaisie orientale)