Kamil Ben Hsaïn Lachiri est arrivé pour la première fois sur la scène du Capitole en…delta plane ! Il faut dire qu’il chantait l’oiseleur Papageno de La Flûte enchantée, dans une mise en scène de Pierre Rigal (décembre 2021). Il est né en Belgique, où il vit toujours, d’un papa marocain et d’une maman belgo-italienne. Le soleil d’une voix a toujours des racines… Il est revenu à Toulouse pour un Oratorio de Noël, puis pour une Carmen qui connut quatre distributions en huit représentations en janvier 2022 (Covid oblige…). Une reprise d’Orphée aux enfers de Jacques Offenbach en janvier 2025 l’a vu cette fois ne faire qu’une bouchée de Mars. Christophe Ghristi lui propose cette fois un tout autre challenge, rien moins que Leporello, le valet le plus célèbre de l’histoire de l’opéra.
Rencontre
Classictoulouse : Vous voici de retour sur la scène du Capitole, un théâtre que vous connaissez bien à présent, après notamment votre participation aux dernières reprises in loco d’Orphée aux enfers, opéra dans lequel vous incarniez le dieu Mars. Que s’est-il passé dans votre carrière depuis ?
Kamil Ben Hsaïn Lachiri : En fait beaucoup de choses… imprévues. Comme je connais le répertoire contemporain, ce qui n’est pas très courant dans notre univers, j’ai été amené à remplacer des collègues qui avaient dû quitter des productions pour différents motifs. J’ai beaucoup interprété Mozart aussi, en particulier Guglielmo de Cosi fan tutte lors de tournées en Belgique. J’ai chanté également au Staastsoper de Berlin Apollo dans la Cassandra de Bernard Foccroulle (ndlr : création de l’œuvre à Bruxelles en 2023).
Vous me disiez lors de notre dernier entretien de janvier 2025, que votre voix était en train de naturellement évoluer. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Je me suis entouré de personnes qui m’aident à surmonter le stress. C’est donc dans le « mental » que ma voix a changé. Je suis clairement plus serein qu’il y a quelques années et cela libère de nombreuses énergies dans mon chant. J’appréhende aujourd’hui les rôles mais aussi ma carrière avec beaucoup plus de calme. J’aborde à présent un répertoire que je n’imaginais pas il y a seulement trois ans. Et je dois dire que c’est grâce à Christophe Ghristi qui, non seulement me fait confiance mais en qui j’ai une confiance totale, car il connait parfaitement les voix, les répertoires et les chanteurs. C’est une énorme chance que de l’avoir comme directeur d’un théâtre lyrique. Un autre point fort de son analyse est certainement la complémentarité qu’il a entendue entre la voix de Mikhail Timoshenko (ndlr : Don Giovanni) et la mienne car les couleurs de nos voix sont différentes. Dans cet opéra et pour ces rôles c’est capital.

Venons-en à ce Don Giovanni. Vous avez déjà chanté Leporello, un rôle traditionnellement confié à une basse. Sauf que le créateur viennois du rôle, Francesco Benucci, fut aussi le créateur du Figaro des Noces et de Guglielmo de Cosi fan tutte. Qu’en est-il exactement de la tessiture requise pour ce rôle ?
Je n’ai jamais chanté Leporello en entier dans une production comme celle du Capitole. Effectivement, si l’on se rapporte à l’historique moderne de ce rôle, Leporello est souvent confié à de vrais basses alors qu’en fait, à peu de choses près, l’ambitus et la tessiture sont les mêmes que pour Don Giovanni. Cependant, Leporello évolue beaucoup plus souvent dans les registres médium et grave. Alors, et même si les notes extrêmes sont à peu près comparables, il faut bien reconnaître que le rôle se situe globalement dans un registre plus grave que celui de Don Giovanni. D’authentiques basses sont parfois en difficultés dans ce rôle, mais c’est aussi un vrai défi pour un baryton qui doit posséder alors une couleur plus « charnue ». Il faut de plus impérativement maîtriser la souplesse d’émission car les passages syllabiques annoncent clairement le style de la basse-bouffe rossinienne avec tout ce que cela suppose de virtuosité dans la projection. Par le charnu que j’évoquais plus haut j’entends une vraie richesse en harmoniques permettant justement dans ces passages graves ou virtuoses d’être entendu. Cela dit, et vous le savez que trop peut-être (rires !!!) je suis quelqu’un qui naturellement parle très vite, alors autant vous dire que le chant syllabique est un vrai plaisir.
Quelles sont les difficultés de son interprétation tant d’un point de vue vocal que dramatique ?
L’air du catalogue, sous ses apparences légères, est en réalité redoutable. La difficulté est de le rendre intéressant et nuancé, tout en conservant une technique solide. Quelques notes sont exigeantes dans le haut de la tessiture et la dimension scénique rend le tout délicat à maîtriser, d’autant qu’il faut toujours bouger. J’apprécie beaucoup le travail que nous fait faire Agnès Jaoui (ndlr : metteur en scène). Elle casse ici les clichés qui accompagnent souvent le personnage de Leporello, présenté comme un peu « bas du plafond ». Elle en fait tout autre chose, laissant deviner que, s’il était né riche il aurait les mêmes comportements que son maître. Dans cette production, sa relation avec Elvira est vraiment nouvelle. Agnès nous fait travailler sur les intentions et donc cela déclenche souvent beaucoup d’émotion. Et quand on arrive à trouver la juste intention scénique cela nourrit le chant. Mozart a lié toutes les notes de sa partition au drame et à l’action.
Outre les indications d’Agnès Jaoui, le metteur en scène de ce Don Giovanni, quel portrait souhaitez-vous donner de ce personnage, vous pour qui la scène théâtrale est un élément indispensable à vos interprétations ?
L’image commune que nous avons de Leporello est celle d’un gars à la limite du bouffon, mais sympa. Agnès souhaitait que j’en fasse quelqu’un de foncièrement méchant et cela entrait en collision avec ma personnalité qui est celle fondamentalement de quelqu’un de gentil. Aussi, Agnès a bien voulu composer un portrait de ce valet qui se situe entre les deux. C’est la preuve d’une énorme intelligence de la part du metteur en scène que de comprendre ce genre de chose : comment adapter un personnage d’opéra à la personnalité de son interprète. Un exemple, sans spoiler davantage, pendant la scène du catalogue je ne me moque absolument pas d’Elvira. Pour ne rien vous cacher les deux casts ont décidé de ne plus répéter ensemble afin que chacun garde son identité propre. C’est dire !

Quelles sont vos références passées ou actuelles qui vous inspirent pour Leporello ?
Pour moi c’est Ferruccio Furlanetto (ndlr : basse italienne née en 1949) car il a l’instrument idéal pour chanter … en parlant. C’est unique. Alors certes ce n’est pas un modèle vocal pour moi car je n’ai pas du tout sa voix mais il n’empêche que dans ce rôle il constitue un modèle.
Quels sont vos engagements après Toulouse ?
Outre divers engagements l’important pour moi dans les temps proches à venir ce sont les auditions que je vais passer car j’ai complètement changé mon programme en la matière. J’abandonne petit à petit le répertoire dit léger pour me centrer sur des rôles comme principalement celui du Comte des Noces de Figaro. Je regarde aussi Riccardo des Puritains de Bellini, Oreste de l’Iphigénie en Tauride de Gluck et Valentin du Faust de Gounod.
Quels sont les nouveaux rôles que vous allez ou que vous souhaitez inscrire à votre répertoire dans les années à venir ?
Si, en plus du Comte, je mets Riccardo à mon programme d’audition c’est parce qu’aussi je pense qu’il constitue pour moi une porte d’entrée dans le répertoire verdien, et donc des emplois qu’il n’est pas impossible que je puisse aborder dans un proche avenir étant données les changements naturels qui s’opèrent dans ma voix.
Un mot pour terminer ?
Certainement pour vous dire le bonheur de chanter dans cette production car elle s’appuie non pas sur un concept éphémère mais sur les intentions autant de Mozart que de Da Ponte. Débutant, je rêvais un jour d’une telle situation mais j’avais un peu abandonné ce rêve. J’avais tort, à l’évidence.
Propos recueillis par Robert Pénavayre le 7 novembre 2025
Don Giovanni au Théâtre du Capitole du 20 au 30 novembre 2025
Renseignements et réservations : www.opera.toulouse.fr
