Après plus de trente années d’absence à son affiche, le Théâtre du Capitole renoue avec l’un des chefs-d’œuvre de Jacques Offenbach, dans sa seconde version en quatre actes de 1874 : Orphée aux enfers. Les sept représentations ont été prises d’assaut par le public. Plus une place aux guichets. Tant mieux et… dommage pour les retardataires car le spectacle est tout simplement jubilatoire.
C’est dans le cadre d’une coproduction avec le Capitole, l’Opéra de Tours, où elle fut créée en 2023, et l’Opéra de Lausanne que nous revient cette cinglante parodie du Grand Opéra, doublée d’un délicieux pastiche des puissants de l’époque, Napoléon III en tête. Contrairement à ce que certains esprits chagrins avaient imaginé, Olivier Py ne va pas forcer le trait du livret écrit par Hector Crémieux et Ludovic Halévy. Et pourtant les pièges, grivois notamment, sont nombreux ! Sa mise en scène scrute chacun des nombreux personnages de la pièce afin de les faire exister véritablement et souligner ainsi toute leur place dans cette joyeuse course à l’abîme infernal. Les décors et costumes de Pierre-André Weitz et les lumières de Bertrand Killy participent avec une magnifique adéquation à recréer sous nos yeux cette mythologie largement revisitée et actualisée. Où il est question du destin « tragique » d’Orphée et d’Eurydice, sauf qu’ici le couple mythique ne se supporte plus. Et tout finira sur un galop frénétique que des institutions spécialisées s’approprieront sous le nom de French Cancan. C’est joyeux, coloré, coquin juste ce qu’il faut sans sombrer dans la moindre trivialité. Le public s’amuse, les chanteurs aussi. Sans oublier la dizaine de danseurs qui font des multiples scènes chorégraphiques, signées Ivo Bauchiero, des moments d’une énergie aussi incroyable que débridée.

Une distribution luxueuse dont Offenbach n’aurait même pas rêvé.
Pour Christophe Ghristi, il était inconcevable de reprendre cet Orphée sans une distribution qui rende pleinement justice à une partition comptant parmi les plus achevées du Mozart des Champs Elysées. Il a donc réuni pour l’occasion une partie de sa famille capitoline, en l’occurrence la fine fleur du chant francophone. Orphée et Eurydice sont les derniers interprètes en date in loco d’Idamante et Ilia dans l’Idomeneo mozartien. Cela donne une idée du niveau de cette distribution. Orphée, le violoneux, est Cyrille Dubois. En clone d’une star pop rock, il est tout simplement irrésistible de vis comica. Un seul regret, que le rôle ne soit pas plus long car son ténor lumineux, souple, virtuose, aérien est un ravissement de chaque instant. La prosodie est d’une netteté parfaite. Quel talent ! Face à lui, l’Eurydice de Marie Perbost assume son personnage de mégère nymphomane qui finira bacchante avec un aplomb tout aussi irrésistible. Son soprano généreux fait fi des multiples écueils semés par le compositeur sur cette partition, dont l’appel très fréquent à une tierce aiguë largement sollicitée.

Mathias Vidal, qui fut un Nadir d’une musicalité infinie sur notre scène en septembre 2023, se mue ici en Aristée/Pluton avec une jubilation incroyable. Il ajoute à son ténor sans failles, une aisance scénique éblouissante. Il détaille son chant avec une précision d’intonation et une acuité d’accent stupéfiantes de netteté. Un bonheur de tous les instants.

Marc Scoffoni revêt la tenue impériale de Jupiter et impose, avec un certain degré de mauvaise foi, sa destinée à cette « pauvre » Eurydice. Son ténor percutant et précis est tout juste l’idéal pour cet emploi qui brocarde Napoléon III lui-même. Et reconnaissons que le fameux duo de la mouche le retrouvant suspendu dans les airs est un moment inoubliable de drôlerie.

Nouvelle venue dans la famille, le mezzo contralto Adriana Bignagni Lesca s’empare de L’Opinion publique avec l’autorité qui sied à cette empêcheuse de tourner en rond. Elle le fait d’autant plus facilement qu’elle déploie un timbre sombre et une belle puissance de projection, sans oublier une phrasé généreux et une musicalité affirmée, des qualités qui semblent la prédestiner à des emplois difficiles à pourvoir comme Ulrica ou Erda. A suivre certainement. Rodolphe Briand est le John Styx que l’on attendait de cet artiste accompli. Anaïs Constans (Diane), Marie-Laure Garnier (Vénus), Lucile Verbizier (Minerve) et Céline Laborie (Junon) sont les séduisantes déesses telles que l’Olympe nous les fait fantasmer, avec cette juste et virtuose conjugaison de beau chant et d’abattage scénique. Le Cupidon de Julie Goussot annonce clairement le futur Nicklausse des Contes d’Hoffman. Ce qui n’est pas rien. Le velouté de son soprano s’articule à merveille sur un phrasé exemplaire. Enguerrand de Hys affronte, c’est le terme, l’air d’entrée de Mercure avec un aplomb confondant, franchissant brillamment une écriture démente et un tempo qui ne l’est pas moins. Si Mars n’est pas un rôle majeur, il n’en demeure pas moins qu’il nous permet de retrouver le baryton Kamil Ben Hsaïn Lachiri. Depuis son Papageno ici même en 2021, la voix de ce jeune chanteur a évolué vers plus d’épaisseur de grain, le timbre s’est assombri, la projection est devenue plus péremptoire. Cette évolution, toute naturelle d’ailleurs, laisse entrevoir des rôles évidemment autrement exposés. De grands emplois français et italiens ne sont plus très loin.

Saluons le Chœur et la Maîtrise de l’Opéra national du Capitole, placés sous la direction de Gabriel Bourgoin, des phalanges toujours aussi précieuses et exactes aux rendez-vous les plus divers. Un grand bravo aussi aux petits violonistes, les élèves d’Orphée, issus du Projet Demos et ici préparés par Ludovic Roserot de Melin.
L’Orchestre national du Capitole était sous la baguette de Chloé Dufresne. Sa direction un brin tumultueuse s’assouplira n’en doutons pas au cours des représentations, évitant ainsi quelques décalages fosse-plateau qui, à vrai dire, n’ont en rien freiné la formidable et longue ovation qui est venue saluer cette représentation au rideau final.
Robert Pénavayre
Renseignements et réservations : www.opera.toulouse.fr
Photos : Mirco Magliocca