Opéra

Susanna, maître de cérémonie des Noces mozartiennes

Anaïs Constans (Susanna), Matteo Peirone (Antonio), Michael Nagy (Le Comte), Julien Véronèse (Figaro) et Karine Deshayes (la Comtesse) -photo: Mirco Magliocca

Les reprises actuelles des Noces de Figaro, de Wolfgang Amadeus Mozart, se jouent à guichet fermé. C’est déjà une excellente chose. Christophe Ghristi a réuni pour ce faire une pléiade de chanteurs français ou francophones ainsi qu’un nouvel invité capitolin pour chanter le Comte. En ce soir de première, la salle exulte en ovations interminables saluant particulièrement la Susanna d’Anaïs Constans.

La trilogie da Ponte, du nom du célèbre librettiste des Noces de Figaro, mais également de Cosi fan tutte et de Don Giovanni, est une magnifique démonstration non seulement musicale mais aussi théâtrale. Ces trois œuvres sont des horloges scéniques d’une redoutable précision. La mise en scène de Marco Arturo Marelli, en coproduction avec Lausanne, et déjà présentée in loco en 2008 et 2016, nous revient pimentée d’une efficacité jubilatoire.  Dans les merveilleux costumes dignes des plus beaux tableaux de Fragonard (Dagmar Niefind) et des lumières envoûtantes de Friedrich Eggert, cette folle journée déroule son rythme trépidant sans la moindre pause. Les chanteurs s’engagent avec une jubilation très communicative.

Emiliano, Gonzalez Toro (Basilio), Anaïs Constans (Susanna) et Michael Nagy (Le Comte) – photo: Mirco Magliocca

Dans la fosse et pour ses débuts face à l’Orchestre national du Capitole, Hervé Niquet prend cette partition à bras le corps avec une fulgurance qui, pour les deux premiers actes, déploie une sonorité déséquilibrant le rapport fosse/plateau. Heureusement, après l’entracte, tout rentre dans l’ordre et la représentation s’achève dans une harmonie parfaite entre les composantes artistiques de l’opéra.  L’élégance a repris ses droits. Saluons ici l’impressionnante prestation du continuo tenu par Robert Gonnella, véritable maître d’œuvre des nombreux récitatifs qui animent l’ouvrage. Quelle imagination ! Quelle musicalité! Quelle attention à la scène ! Une contribution majeure qui n’a pas été singularisée au salut final. Dommage.

Anaïs Constans (Susanna), Julien Véronèse (Figaro) et Michael Nagy (Le Comte) – photo: Mirco Magliocca

Pour sa première invitation en France dans une production lyrique, le baryton Michael Nagy impose un Comte totalement … cinématographique. On devine chez lui un sens de la scène fascinant, naturel, inné, ébouriffant. Cet artiste, car il en est un véritable, dégage une aura d’une grande intensité rendant ses « appétits » encore plus… toxiques. Et tout cela orné d’un baryton généreux et incisif dont l’intensité du timbre et la ligne de chant incarnent bien le noble pervers qu’il est. Voilà un artiste au sens plein du terme. Après le Capitole, il part pour Vienne où il sera les prochains Amfortas et Alberich wagnériens. Mais ce soir il va avoir fort à faire avec une autre artiste du plateau, la Susanna d’Anaïs Constans. Pour sa prise de rôle, le soprano franchit encore un cap supplémentaire après sa récente Mimi in loco. Non seulement elle brûle les planches, menant d’une main de fer la danse frénétique de cette folle journée, mais elle nous dévoile ici toute ses affinités avec ce répertoire. La voix est d’une homogénéité remarquable, égale dans tous les registres, sans rupture aucune, d’une rondeur d’émission stupéfiante. Le timbre frais et lumineux correspond parfaitement au rôle, tout comme l’extrême musicalité dont elle pare ses multiples interventions, que ce soit dans les airs et ensembles ou dans les meurtriers récitatifs.  Qui ne se souviendra de son air du dernier acte, allongée sur un banc sous lequel se cache Figaro. Un sommet de délicatesse qui se traduit par des demi-teintes d’une beauté renversante. Quel souffle ! Quelle technique ! Pour sa cinquième invitation au Capitole, Christophe Ghristi peut se vanter d’avoir cru dans cette artiste dont l’avenir devrait s’annoncer prometteur. Difficile de passer après deux pointures pareilles qui, finalement, et on ne va pas leur reprocher, monopolisent l’attention.

Prise de rôle également pour Karine Deshayes avec la Comtesse, un personnage plus en retrait dont elle accentue la noblesse d’attitude et de ton avec un soprano qui donne son meilleur dans un médium d’un rare velours conduit avec la science bel cantiste que nous lui connaissons. Julien Véronèse aussi faisait ses débuts en Figaro. Sa présence imposante, plus bon enfant que révolutionnaire, justifie l’importance de Susanna dans le devenir de leur couple.  En ce soir de première, ce baryton-basse semble préoccupé par un registre aigu qu’il est obligé d’émettre en force, comme par sécurité. Compréhensible tant le challenge ici est lourd à relever.

Tous les autres nombreux rôles qui environnent ce véritable combat de classes, de mœurs et de société, font acte d’une présence remarquable, à tel point que souvent le public réagit par des rires non dissimulés. Il faut les citer : Eléonore Pancrazi (Cherubino vraiment travaillé par… le sujet !), Ingrid Perruche (Marcellina) et Frédéric Caton (Bartolo), un duo digne de la commedia dell’arte, Emiliano Gonzalez Toro (Don Basilio évidemment de luxe), Caroline Jestaedt (Barbarina juvénile à souhait), Matteo Peirone (Antonio de grande tradition), enfin dans le rôle délicat d’un notaire… bègue, le désopilant ténor Pierre-Emmanuel Roubet. Ajoutons enfin pour conclure, l’excellente participation à la fête du Chœur de l’Opéra national du Capitole placé sous la direction de Gabriel Bourgoin.

En parlant de fête, le public a adoré ce spectacle et lui a réservé un véritable triomphe au salut final. Et la fête va continuer avec les représentations à venir et tant attendues de Tristan et Isolde, spectacle qui comprendra également, et au plus haut sommet, des prises de rôle majeures. Nous y reviendrons.

C’est un vrai plaisir d’être le témoin d’un tel enthousiasme, autant sur scène que dans la salle, quand on pense à l’état des lieux il y a deux ans à peine… L’art lyrique est bien de retour. Merci à ses artisans.

Robert Pénavayre

Représentations jusqu’au 31 janvier 2023

renseignements et réservations : www.theatreducapitole.fr

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