Les reprises de Norma, le chef-d’œuvre de Vincenzo Bellini, au Théâtre du Capitole, ont plus que fait le plein puisqu’une neuvième représentation a été programmée il y a peu, vendue en deux temps trois mouvements ! L’œuvre, faut-il souligner, mais qui l’ignore (?), est le véritable paradigme du bel canto. De plus elle fait ressurgir les grandes ombres qui l’ont magnifiée : Maria Callas et, plus près de nous, Montserrat Caballé.
Le Théâtre du Capitole reprend légitimement sa production créée en septembre 2019 et confiée pour la mise en scène à Anne Delbée. Celle-ci fait intervenir dans l’histoire le Cerf Blanc cher aux mythologies celtes, véritable messager d’un autre monde. A vrai dire, si l’on excepte les magnifiques lumières de Vinicio Cheli, cette production n’apporte pas grande nouveauté à l’ouvrage et même, parfois, propose des visions qui rendent complexe la lecture de cette grande dame du théâtre français. Mais tout le monde est bien d’accord, Norma est, avant toute chose, un véritable festin de mélodies sublimes, d’airs, de duos, de trios, d’ensembles se situant sur des sommets inviolés de la création lyrique.
Pour tout mettre « en musique », il faut un maitre d’œuvre : le maestro. Remplaçant Hervé Niquet, Christophe Ghristi fait débuter au Capitole le chef espagnol José Miguel Pérez-Sierra, actuel directeur musical du Teatro de la Zarzuela à Madrid. Dès l’ouverture, il est évident que cette partition n’a plus de secret pour lui. L’Orchestre national du Capitole sonne avec une précision exemplaire. La petite harmonie, rutilante, détaille les thèmes que nous retrouverons ensuite chantés. Plus que tout, le chef introduit tous les affects du drame que nous allons vivre : amour, passion, colère, haine. Il sait aussi à merveille dérouler un véritable tapis sonore qui, pour aussi dynamique et impressionnant soit-il, respire avec les chanteurs. Et vu la difficulté vocale de cette partition, une telle approche est une question de survie pour le plateau et le public !

Justement, en parlant de chanteurs, pardon de commencer par deux seconds rôles qui m’ont totalement ébloui. En effet, dès les premiers mots du Flavio de Léo Vermot-Desroches, l’oreille sursaute : un timbre lumineux, une émission d’une exemplaire rondeur, une présence en scène. Et pourtant l’aide de camp de Pollione n’a pas grands espaces pour montrer sa valeur. Il n’empêche, ce jeune ténor à peine trentenaire vient de nous donner une terrible envie de le retrouver dans un rôle autrement exposé. Pour information, il est depuis quelques temps, autant à Salzbourg qu’à Paris, la doublure de Benjamin Bernheim… A ses côtés, pourrions-nous dire, la toute jeune soprano géorgienne Anna Oniani n’a guère plus d’opportunités pour exprimer son talent dans le rôle de Clotilde. Et pourtant elle existe autant par une présence remarquable de densité dramatique que par une voix qui ne va pas tarder à faire parler d’elle. Christophe Ghristi le sait, il n’y a pas de « seconds » rôles pour qu’une représentation soit à la hauteur du Capitole. En voilà une nouvelle preuve.

Dans cette première distribution (26 mars 2025), car il y en a une autre (nous reviendrons sur cette dernière la semaine prochaine, d’autant que la rumeur la qualifie de « démente » !!!), le rôle-titre est échu à Karine Deshayes qui, en 2019, chantait alors Adalgisa. C’est assurément dans son portrait dramatique très achevé de Norma que son interprétation trouve son acmé et nous touche le plus. En ce soir de première, après un Casta Diva qui nous laissa sur notre faim, la voix prend son envol, donnant son meilleur dans un médium appuyé d’une belle rondeur. Nous découvrons la mezzo palermitaine Chiara Amarù pour la première fois au Capitole et pour ses débuts dans le rôle d’Adalgisa. Voix opulente, timbre moiré, organe homogène, artiste sensible, elle reçut au rideau final une ovation justement méritée. Pollione nous permettait de retrouver Luciano Ganci (Roberto du Villi en février 2022 à la Halle aux Grains). Le voici en officier romain que l’on aimerait haïr. Sauf que ce ténor, à l’émission puissante et d’une sûreté hallucinante, délivrant un ut littéralement tellurique au mitan de sa cavatine, campe vocalement un personnage particulièrement convaincant musicalement, nuançant sa belle ligne de chant de magnifiques demi-teintes.

Last but not least, l’Oroveso de Roberto Scandiuzzi donne le vertige. On ne sait trop s’il faut l’entendre, l’écouter ou simplement et béatement l’admirer, tant son incarnation du père de Norma reflète un passé devenu légendaire de l’art lyrique.
Sous la direction de Gabriel Bourgoin, le Chœur de l’Opéra national du Capitole déploie une fois encore toute la superbe de ses couleurs, de sa discipline et de sa musicalité. Un must toujours indispensable aux grandes réussites capitolines.
Rendez-vous dans quelques jours pour la suite.
Robert Pénavayre
Photos : Mirco Magliocca
Représentations : 28/29 et 30 mars, 1/2/4/5 et 6 avril 2025
Renseignements et réservations : www.opera.toulouse.fr