Opéra

L’œuvre « titan » de l’art lyrique

Ricarda Merbeth, de l'Impératrice à La Femme. Photo © Mirko Joerg Kellner

L’entrée au répertoire du Capitole de Toulouse en octobre 2006 du chef d’œuvre de Richard Strauss (1864-1949) : La Femme sans Ombre (Die Frau ohne Schatten), fut un événement qui dépassait largement le cadre de notre cité de part l’importance de l’ouvrage et les moyens mis en œuvre.

Créé le 10 octobre 1919 à l’Opéra de Vienne (Strauss en est directeur depuis un an), la Frau fait partie des ouvrages « noirs » de ce compositeur, avec Salomé et Elektra. Sauf que l’amalgame s’arrête là car cette œuvre de plus de trois heures a une toute autre ambition.

Ecrit en collaboration avec le poète viennois Hugo von Hofmannsthal (1874-1929), cet opéra ne voit le jour que neuf ans après la première discussion ayant réuni les deux hommes sur ce sujet. A la décharge de ces deux génies, le rappel sous les drapeaux du poète en 1914.

Dans une lettre au compositeur en date du 20 mars 1911, Hofmannsthal évoque un projet de conte de fées et cite nommément La Flûte Enchantée comme analogie au scénario qu’il a en tête. Il n’en fallut pas davantage aux deux hommes pour s’attaquer à l’un des plus prestigieux et ambitieux monuments de l’art lyrique.

Une œuvre profondément optimiste

Le livret met en présence deux couples. L’un appartient au monde supérieur : l’Empereur et l’Impératrice. L’autre évolue dans l’univers des humains laborieux. Lui porte un nom, c’est Barak, il est teinturier, elle n’est pas nommée, c’est la Femme.

Elisabeth Teige (L’Impératrice) – Photo : Line Fiane

Une précision, l’Impératrice est d’essence divine. Sa rencontre avec un humain, fut-il Empereur, en a fait, certes, une femme, mais pas une mère. Or, les textes sacrés sont inflexibles sur le sujet. Si, dans un délai de douze lunes, l’Impératrice n’est pas mère, son mari sera pétrifié. Cette impossibilité d’être mère est symbolisée par l’absence d’ombre attachée à l’Impératrice. Un cinquième personnage, méphistophélique, entre en jeu, c’est la Nourrice de l’Impératrice. Elle lui propose d’aller chez les humains d’en bas pour acheter une ombre. Sous une fausse identité, elles deviennent les servantes de Barak et de sa femme, cette dernière pouvant enfanter mais refusant de donner une descendance à son mari…

Sophie Koch (La Nourrice) – Photo: Vincent Pontet

Sur le thème de l’humanisation des personnages, cet opéra fait appel à une foule de symboles qui est à l’origine de l’image de complexité – réelle –  de cet opéra.

Orchestre et distribution hors du commun

Si la Frau n’est qu’exceptionnellement affichée, il y a des raisons tangibles.

Tout d’abord un gigantesque orchestre à réunir et, ensuite, une distribution dont l’idéal ne se lève qu’une poignée de fois par…siècle !

Chasse gardée des chefs de tradition germanique (Karl Böhm en fut le plus ardent interprète), cet ouvrage réclame une connaissance approfondie de ce compositeur. Nicolas Joel avait confié la fosse au chef israélien Pinchas Steinberg. Christophe Ghristi la met entre les mains de son confrère allemand Frank Beermann qui lui succède donc pour les présentes reprises.

Quant à la distribution, elle devrait nous valoir quelques frissons de bonheur.

A dire vrai, ce sont surtout les trois cantatrices qui sont les plus exposées à des tessitures démoniaques et à une puissance de projection qui relève du cauchemar. Challenge dans le challenge, tous les artistes présents en 2024 sur le plateau sont… en prise de rôle !

La Femme sera l’Autrichienne Ricarda Merbeth, celle-là même qui interprétait en 2006 l’Impératrice. Cette dernière nous vaudra de découvrir l’une des stars actuelles du répertoire wagnérien, la Norvégienne Elisabeth Teige. Autre prise de rôle très attendue, celle de la Nourrice par la mezzo française Sophie Koch.

Final de La Femme sans Ombre – Capitole 2006 – Ricarda Merbeth (L’Impératrice), Robert Dean Smith (L’Empereur), Janice Baird (La Femme) et Andrew Schroeder (Barak) – Photo: Patrice Nin

Côté masculin, le ténor Américain Issachah Savage sera l’Empereur et son compatriote, le baryton Brian Mulligan sera Barak, l’un des personnages les plus fondamentalement bons de toute la littérature lyrique.

A propos de la mise en scène

L’un des facteurs ayant contribué à la rareté des représentations de cette Frau, c’est aussi la difficulté de la mise en scène, l’action se situant sur plusieurs plans avec, en fin de second acte, rien moins qu’un tremblement de terre !

Nicolas Joel affrontait crânement cet opéra, s’entourant de son trio magique : Ezio Frigerio pour les décors, Franca Squarciapino pour les costumes et Vinicio Cheli pour les lumières. C’est bien sûr cette production qui est reprise aujourd’hui.

A voir toutes affaires cessantes !!!

Robert Pénavayre

« La Femme sans Ombre » Opéra national du Capitole

Représentations : 25 et 31 janvier à 19h, 28 janvier et 4 février à 15h

Renseignements et réservations : www.opera.toulouse.fr

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