Ce qui est, peut-être, en ce lundi 24 avril 2023, la première exécution à Toulouse des Canticles de Benjamin Britten (1913-1976) est d’ores et déjà de toute manière une date inoubliable dans l’histoire du Théâtre du Capitole.
Saluons ici l’heureuse initiative de Christophe Ghristi de programmer les célèbres Canticles de Benjamin Britten dans la saison capitoline. Elle n’a pas été la seule. Non seulement le directeur artistique du Capitole s’est assuré la participation d’artistes de très grands niveaux, mais, de plus, il a décidé de les donner non pas dans l’auguste maison qu’il dirige depuis 2018 mais dans l’enceinte plus intime et donc plus en harmonie avec l’ouvrage, de l’auditorium Saint-Pierre-Des-Cuisines, un auditorium dont l’excellente acoustique n’est plus à saluer.
Ecrits sur des poèmes couvrant un demi-millénaire de créations littéraires, ces cinq Canticles ont été composés sur une période de 27 ans, de 1947 à 1974. Dédiés au compagnon du compositeur, le ténor Peter Pears (1910-1986), ils sont aujourd’hui des témoignages de l’évolution créatrice du musicien britannique au faîte de son génie.
En effet le premier : Mon Bien-aimé est mien, suit de deux années la composition de Peter Grimes. L’ultime, La Mort de Saint Narcisse, se caractérise par une écriture vocale rappelant celle du héros de Mort à Venise, l’opus lyrique testamentaire de Britten. Si ce dernier est accompagné par la harpe c’est tout simplement parce que Britten était déjà très fatigué et n’avait pas la force d’accompagner Peter Pears comme il l’avait toujours fait auparavant. La harpe a été choisie par le compositeur car elle est capable d’envelopper de ses sonorités uniques et ensorcelantes toutes les transformations du malheureux Narcisse.
Si la voix de ténor est l’élément central de ce « cycle », un terme que n’a jamais employé Britten car la réunion de ces cinq opus s’est faite a posteriori et en fonction de la numérotation, chacun des Canticles relève d’une formation différente : My Beloved is mine op 40 pour ténor et piano, Abraham and Isaac op 51 pour contre-ténor, ténor et piano, Still falls the rain op 55 pour ténor, cor et piano, Journey of the Magi op 86 pour ténor, contre-ténor, baryton et piano, enfin The Death of Narcissus op 89 pout ténor et harpe. Cette conjugaison de couleurs vocales et instrumentales emporte l’auditeur dans un voyage sensoriel qui, à la lecture des textes mis en musique, se transforme en authentique quête spirituelle.
Cyrille Dubois nous met à genoux
Pourvu d’un idiome britannique inattaquable d’authenticité, le ténor Cyrille Dubois, qui sera Idamante la saison prochaine au Capitole, est l’élément central de ce concert. Doté d’une dynamique vocale incroyable d’ambitus, de la plus effrayante déflagration au murmure le plus séraphique, Cyrille Dubois est la référence absolue de l’interprétation brittennienne française. Conjuguant avec une science stupéfiante le mot et la musique, et l’on sait toute l’importance de cette fusion dans le style du compositeur, ce ténor va nous faire littéralement chavirer dans un univers où l’hédonisme le plus pur croisera la spiritualité la plus profonde. Un moment inoubliable ! Inoubliable également car cet artiste était particulièrement bien entouré : Anne Le Bozec (piano), William Shelton (contre-ténor) dont l’interprétation d’Isaac fut à fendre l’âme, Marc Mauillon (baryton), futur Pelléas capitolin, Pauline Haas (harpe) et Thibault Hocquet, cor solo de l’ONCT, ici exemplaire de souffle, de phrasé et de nuances.
Dans une mise en scène subtile autant qu’émouvante, sans applaudissements tout le long de la soirée, à la demande de Christophe Ghristi, un moment de grâce ineffable salué in fine par un tonnerre d’ovations et de nombreux rappels.
Robert Pénavayre
Photos : Classictoulouse.