Opéra

Inoubliable entrée au répertoire de l’Opéra national du Capitole du Viol de Lucrèce

Après bien des vicissitudes dues à la pandémie, la création in loco du Viol de Lucrèce de Benjamin Britten fait, enfin, son entrée au répertoire de l’illustre maison lyrique toulousaine. Une entrée qui s’est terminée sous un tonnerre d’ovations et d’applaudissements ponctués de multiples rappels.

Devant une salle confortablement garnie, l’œuvre du compositeur britannique nous a été présentée dans le cadre d’une nouvelle production. Le décor, signé Hernán Penuela, est avant tout un proscenium rehaussé de quelques marches et surplombé de voiles déchirées. Un gigantesque mât aux inclinaisons variables aura tôt fait de se transformer en croix, ajoutant ainsi à la vision carrément christique de l’œuvre telle que conçue par Anne Delbée (mise en scène). De magnifiques costumes, plus particulièrement celui de Lucrèce, signés Mine Vergez, et des éclairages d’une formidable efficacité (Jacopo Pantani) achèvent de donner à ce spectacle une aura universelle, intemporelle et finalement profondément humaine.

Revenons à la mise en scène. Elle est signée Anne Delbée, tragédienne nourrie au classique, qui nous fait vivre le drame de Lucrèce comme un long rituel sacrificiel. La sobriété qui anime les huit personnages de ce fait divers semi-légendaire sied parfaitement au message qu’ils véhiculent. Où il est question d’une femme bafouée qui ne trouvera refuge que dans une mort qu’elle-même se donnera. Faisant fi des réserves que quelques exégètes de ce compositeur émettent quant à la dimension chrétienne de l’œuvre, Anne Delbée nous met dès la première scène devant une grande table autour de laquelle certains protagonistes discutent bruyamment. Mais à y regarder de près, l’élévation d’un verre par le Chœur masculin est clairement le partage du vin de l’eucharistie. De nombreuses autres références vont parcourir la direction d’acteur, creusant profondément cette vision véritablement poignante du drame. Et plus particulièrement son travail quant aux Chœurs. A savoir, et c’est une particularité, deux personnes : Marie-Laure Garnier (Chœur féminin), superbe, et Cyrille Dubois (Chœur masculin). Si la première nommée se montre souvent sous forme d’une véritable pythonisse, sculptée dans des attitudes antiques, il en est tout autrement du Chœur masculin. Non seulement il n’est pas que commentateur et narrateur de l’action, mais ici il en est également acteur lors de scènes véritablement troublantes dans lesquelles il semble se détacher de sa simple personnalité originelle.

Debout Cyrille Dubois, sur la table Duncan Rock (Tarquin)

Anne Delbée a dû prendre très rapidement la mesure de l’artiste qui se cache à peine derrière le ténor de Cyrille Dubois. A vrai dire il est le triomphateur d’une soirée faste en émotions. Son chant aux nuances inouïes de dynamiques s’épanouit dans un soleil aveuglant et un ambitus d’une parfaite homogénéité. S’affranchissant de toutes les frontières, il devient le Deus Ex Machina, en même temps que l’ombre ténébreuse du péché et le prophète de lendemains salvateurs.  Une immense composition saluée unanimement par un public qui ne s’y est pas trompé.  Duncan Rock est un Tarquin digne, physiquement, des meilleurs péplums, sauf qu’il pare son allure avantageuse d’un baryton élégant et racé. Côté masculin, comment ne pas souligner également la splendide composition vocale et scénique de Dominic Barberi, une basse imposante mais aussi un terriblement émouvant Collatin. En Junius, Philippe-Nicolas Martin tire son épingle d’un jeu mortel grâce à un timbre au grain d’une intense densité. 

Agnieszka Rehlis (Lucrèce), Duncan Rock (Tarquin) et Cyrille Dubois (Chœur masculin)

Si la Lucrèce d’Agnieszka Rehlis restera avant tout comme l’incarnation même de la douleur la plus profonde, ses deux suivantes seront au centre de l’intrigue, nous gratifiant d’un véritable duo des fleurs digne de Mme Butterfly, seul moment interrompant momentanément la véritable course à l’abîme que représente ce drame.  Juliette Mars (Bianca) fait entendre un très joli mezzo. Céline Laborie (Lucia), sur une partition un rien plus exigeante, fait valoir un soprano d’une belle rondeur, aux aigus cristallins, au souffle long et à la tenue de chant exemplaire de souplesse.

Marie-Laure Garnier (Chœur féminin), Agnieszka Rehlis (Lucrèce) et Cyrille Dubois (Chœur masculin)

Saluons enfin les 12 musiciens de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse pour leur performance fastueuse sous la direction attentive de Marius Stieghorst. Chacun a des passages d’une virtuosité extrême dont ils s’affranchissent tous avec une apparente facilité ébouriffante. Leur talent est bien sûr la pierre angulaire de la réussite d’un spectacle d’une telle exigence.

Encore une fois et malgré les aléas cités en liminaire, Christophe Ghristi a tenu bon et a fini par inscrire une nouvelle date majeure dans l’Histoire du Capitole.

Il reste trois représentations : 26, 28 et 30 mai. Ne laissez pas passer une telle occasion !

Robert Pénavayre

Renseignements et réservations : www.theatreducapitol.fr

Photos : Mirco Magliocca

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