Le 15 février dernier, l’Opéra national du Capitole montait à Toulouse, sur la scène du Théâtre Garonne associé au développement de ce projet, le nouvel opéra du compositeur autrichien d’aujourd’hui Wolfgang Mitterer. Intitulé Dafne, cette œuvre lyrique, créée en septembre 2022 à Paris, au Théâtre de l’Athénée, reprend la trame d’un opéra écrit en 1627 par le grand compositeur Heinrich Schütz, considéré parfois comme le « Monteverdi allemand ». Quatre siècles plus tard, voici cette trame ressuscitée et métamorphosée.
Cet impressionnant spectacle reprend donc le livret de cet opéra écrit en 1627 par Heinrich Schütz. Considéré comme le premier opéra en langue allemande, Dafne a été conçu d’après Les Métamorphoses d’Ovide sur un livret du grand poète baroque Martin Opitz. La partition de Schütz a disparu lors de l’un des nombreux incendies qu’a connu la ville de Dresde. Le compositeur Wolfgang Mitterer s’est associé au directeur musical de l’ensemble vocal Les Cris de Paris, Geoffroy Jourdain, l’initiateur de ce projet, ainsi qu’au metteur en scène Aurélien Bory et sa Compagnie 111, afin de réaliser cette résurrection presque miraculeuse d’une œuvre dont ne subsiste que le texte du livret.
Rappelons que le Théâtre du Capitole (pas encore Opéra national) avait déjà affiché en 2015 une œuvre lyrique de Wolfgang Mitterer, Massacre, illustrant la terrible nuit de la Saint-Barthélemy.
De nombreuses œuvres d’art (théâtre, musique, opéra, art plastique…) ont été inspirées par la légende de la nymphe Daphné (Dafne en allemand) qui se résume ainsi : poursuivie par Apollon que Cupidon a rendu amoureux fou d’elle, la nymphe Daphné, qui le fuit, obtient de son père d’être métamorphosée en laurier.
Comme les trois recréateurs l’ont indiqué, il ne s’agissait pas pour eux de réaliser une reconstitution « entre relique et réplique », mais de considérer comme matériau de départ et source d’inspiration la musique de Schütz elle-même et ses propres caractéristiques. Le compositeur a donc imaginé un opéra-madrigal dans lequel le texte est déclamé par les douze chanteurs de l’ensemble Les Cris de Paris dont chacun peut endosser, individuellement ou à plusieurs voix, tous les rôles de l’ouvrage. Signalons que la mise en œuvre d’un sur-titrage bien conçu permet au spectateur-auditeur de suivre aisément le déroulement de l’intrigue.
Une musique hypnotique
La texture même de la musique intègre subtilement le style madrigalesque d’Heinrich Schütz dont on détecte à plusieurs reprises quelques citations caractéristiques, authentiques ou inventées, comme autant de résurgences émouvantes de souvenirs enfouis.
Le chant particulièrement élaboré qui illustre ce parcours s’accompagne d’une partition électronique pré-enregistrée qui tient lieu de basse continue, à l’image des productions baroques. On admire tout particulièrement la perfection avec laquelle le directeur musical Geoffroy Jourdain réalise la cohésion entre le chant et son soutien sonore. Un soutien qu’il déclenche d’ailleurs depuis son pupitre de direction, lui conférant ainsi la maîtrise du déroulement musical. En outre, l’engagement vocal autant que dramatique de chaque chanteur-acteur s’avère ici admirable sous tous rapports ! D’autant plus admirable que certains d’entre eux sont amenés à jouer d’un instrument en « live ». Un cor, plusieurs bassons, une percussion et surtout une flûte se mêlent ainsi aux sonorités électroniques.
Une prodigieuse mise en scène
La conception particulièrement élaborée de la mise en scène et de la scénographie imaginées par Aurélien Bory constitue un atout considérable de la réussite de cette production. La scène tournante et ses anneaux circulaires concentriques ainsi utilisés agissent comme un élément fondamental et organique du spectacle basé sur la notion de « métamorphose », terme éminemment ovidien. Les déplacement des chanteurs s’effectuent sur ces anneaux dont les vitesses de rotation différenciées, comme autant de trajectoires planétaires, sont subtilement adaptées au contexte dramatique et musical. Plus encore ils constituent une image visuelle de la musique elle-même. Aurélien Bory donne à voir une polyphonie scénique en contrepoint de la polyphonie vocale et musicale. Du grand art !
Outre l’utilisation d’accessoires chargés de symboles comme les arcs et les flèches, aux utilisations parfaitement maîtrisées, la transformation finale de la nymphe en élément végétal revêt une intensité particulière. Dafne se love dans un grand panneau souple qui prend progressivement la forme de l’arbre, le symbolique laurier, la soustrayant ainsi aux assauts d’Apollon. Une image forte qui marque profondément cette production imaginative. Un encouragement à méditer sur l’impossible assouvissement de la quête artistique…
Soulignons enfin le travail admirable de précision réalisé par les équipes techniques du Théâtre Garonne, largement sollicitées tout au long du spectacle.
Une belle ovation du public traduit visiblement la fascination exercée par cette création largement hors du commun qui attire une assistance nombreuse et enthousiaste. Un grand bravo à l’initiative prise par l’institution lyrique toulousaine.
Serge Chauzy