Opéra

Cinderella Story rossinienne

C’est dans une nouvelle production créée à Riga en 2021, en coproduction avec le Théâtre du Capitole, que nous revient cette Cenerentola rossinienne, portée ici à un degré musical tout simplement inouï par le maestro Michele Spotti.

Ce spectacle est signé par le duo Barbe et Doucet, le premier dessinant costumes et décors, le second réglant la mise en scène. Ils transposent le conte de Perrault, Cendrillon, que Rossini avait expurgé de toutes références magiques, dans le New York de la prohibition, au cœur des années 30 du siècle dernier. Deux cabarets sont mitoyens. Le Botton Club (allusion au fameux Cotton Club) est tenu par Don Magnifico, sorte de parrain pas très reluisant et à la gâchette facile. Il produit des effeuilleuses, véritables esclaves de la scène, jusqu’à épuisement. Bien sûr ses deux filles font partie de la troupe mais travaillent à leur guise. En face le King’s Follies (référence aux célèbres revues Ziegfeld Follies) est tombé en héritage entre les mains de Ramiro. Mais c’est Alidoro qui va tout mettre en œuvre pour tenter de sauver ce cabaret un brin ringard. Et pour cela tenter d’attirer en tant que créatrice de costumes une brave fille de service du Botton Club, Angelina. Celle-ci dessine à ses heures perdues de magnifiques croquis de mode. Et voilà la machine infernale lancée. Le scénario suit à la lettre le livret d’origine et, il faut le souligner, respecte autant l’œuvre que les personnages, tant dans leurs émotions que leurs personnalités.  Pas moins de 11 toiles peintes nous font croiser les coulisses de ce monde interlope dans lequel Ramiro et Angelina trouveront le bonheur.  C’est animé, parfois vaudevillesque, avec ce qu’il faut de paillettes et de clins d’œil à une époque qui vit la naissance du star-system hollywoodien. Prudente sur les ensembles infernaux qui émaillent cette partition, afin de protéger les chanteurs dans ces moments de grande tension musicale, cette mise en scène, aux outrances costumières assumées, a ravi le public venu en grand nombre applaudir ces reprises.

Vincenzo Taormina (Don Magnifico), Florian Sempey (Dandini), Alex Rosen (Alidoro), Levy Sekgapane (Ramiro)

Michele Spotti, maestrissimo !

Les applaudissements se sont transformés en véritable ovation lorsque le jeune chef italien Michele Spotti est venu saluer. Après son monumental Idomeneo ici même il y a quelques semaines, le pensionnaire du Festival Rossini de Pesaro (quand même !) donne le ton dès les premiers tempi de l’ouverture. Certes c’est celle de La Gazetta écrite pour Naples quatre mois plus tôt car Rossini n’a plus le temps, mais peu importe. L’Orchestre national du Capitole se met à ronronner comme un chat que l’on caresse, toujours prêt à bondir tout de même à la moindre occasion, à s’étirer voluptueusement dans des crescendi vertigineux d’amplitude, à donner des coups de griffe au besoin. Tous les pupitres sont à la fête. Et le public avec. Ce que réalise ce chef est à proprement parler inouï. La densité littéralement sensuelle qu’il donne à chaque note, tout comme dans Idomeneo, fait naître l’émotion au sein même de la fosse. Rien d’étonnant alors que les plus grandes scènes du monde se l’arrachent désormais. Le public toulousain est vraiment chanceux de l’avoir connu à l’affiche de l’illustre institution lyrique de la Ville rose.

Adèle Charvet (Angelina)

Pris de rôle prometteuse pour Adèle Charvet

Sur le plateau, une première distribution (il y en a une seconde en alternance à ne louper sous aucun prétexte, nous y reviendrons) affronte ce torrent de notes et de rythmes insensés. Le tout début, pétri à l’évidence de trac, voit ensuite un peu plus d’assurance prendre possession de la scène. Il en est ainsi d’Adèle Charvet, émouvante Angelina qui nous délivrera un final d’une superbe tenue vocale, même si c’est le copier/coller de la scène finale du Barbiere di Siviglia car Rossini n’a toujours pas le temps d’écrire autre chose. Vocalises brillantes, phrasé ample et généreux, ambitus profond et incarnation d’une réelle sensibilité font de cette cantatrice une Cenerentola qui, n’en doutons pas une seconde, le premier pas franchi, sera une référence.

Adèle Charvet (Angelina) et Levy Sekgapane (Ramiro)

A ses côtés, le ténor Levy Sekgapane est un Ramiro à la quinte aigu bien accrochée, éclatante et volontaire. On le sent familier de ce rôle dont il donne un portrait attachant.  Florian Sempey est le Dandini que l’on attendait. Son baryton nuancé et parfaitement conduit épouse les arcanes de ce personnage complexe avec subtilité. Vincenzo Taormina (qui chante toutes les représentations !) ne fait qu’une bouchée de Don Magnifico. Imposant son baryton-basse dans des ensembles à l’écriture syllabique infernale, il touche à la perfection d’autant qu’il s’engage scéniquement dans un délire de situations compliquées. La basse Alex Rosen (Alidoro) se manifeste d’emblée par une ligne de chant rigoureuse et un timbre aux belles couleurs moirées. C’est lui qui découvrira tout le talent de cette Chanel inconnue perdue dans le fatras toxique de coulisses improbables. Céline Laborie (Clorinda) et Julie Pasturaud (Tisbe) sont les deux parfaites chipies vénéneuses, et bien chantantes, dont André Barbe et Renaud Doucet se sont plus à faire des parangons de bêtise, de méchanceté et de superficialité.

Céline Laborie (Clorinda) et Julie Pastouraud (Tisbe)

 Le Chœur de l’Opéra national du Capitole, sous la direction de Gabriel Bourgoin et le continuo savoureux, lumineux, cristallin, au tempo parfait de Robert Gonnella apportent leur contribution au succès de cette Cinderella Story longuement ovationnée.

Robert Pénavayre

Crédit photo: Marco Magliocca

Représentations jusqu’au 7 avril 2024

Renseignements et réservations : www.opera.toulouse.fr

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