La plus célèbre des cantates composées au 20e siècle vient clore la saison 24/25 des concerts de l’Opéra national du Capitole de Toulouse. Signée Carl Orff (1895-1982), elle illustre musicalement et vocalement 24 poèmes médiévaux en latin, moyen haut allemand et ancien français. Fort heureusement, les sous-titres nous ont permis de suivre tous les affects d’un ouvrage embrassant des univers religieux aussi bien que profanes. La genèse de cette cantate, créée en 1937 à Francfort, tout comme sa réception, s’inscrivent dans le contexte troublé de l’Allemagne nazie (Dorian Astor in Programme de salle). N’empêche, la puissance évocatrice de cette musique, ses rythmes percutants et sa formidable partition chorale en ont fait le bestseller de tout un répertoire, y compris chorégraphique. Le cinéma et la publicité ne vont d’ailleurs pas tarder à s’en emparer, reléguant aux oubliettes les années noires de l’Allemagne qui l’a vue naître. Sauvage et viscérale, intensément poétique aussi, cette partition s’est finalement imposée à la mémoire collective.
En ce samedi 28 juin, c’est une version pour deux pianos et percussions qui nous en est présentée. Nino Pavlenichvili et Levi Gerke assurent les claviers alors que quatre percussionnistes (Emilien Prodhomme, Geoffrey Saint-Léger, Bruno Lemaitre et Guillaume Itier) mobilisent tout un arsenal impressionnant et varié de percussions. Ces six musiciens ont la lourde tâche de « remplacer » un orchestre symphonique, ce qu’ils font avec une précision, une intensité et une dynamique stupéfiantes !
Trois solistes se doivent d’affronter, le terme n’est pas ici usurpé, une partie vocale totalement démente, réclamant des ambitus d’extra-terrestres et une souplesse vocale ahurissante. Le ténor Pierre-Emmanuel Roubet et la soprano Anaïs Constans nous font une démonstration sans appel de cran et de virtuosité. Le baryton Pierre-Yves Pruvot, auquel revient la partie la plus longue des interventions solistes, nous rappelle, si besoin était, quel magnifique artiste Christophe Ghristi a su s’attacher. Il fut au Capitole Klingsor (Parsifal – 2020), Barnaba (Gioconda – 2021), Kurwenal (Tristan et Isolde – 2022) et Jouhandeau (Voyage d’Automne – 2024). Sa voix, d’une rondeur parfaite, puissamment projetée dans tous les registres, fait fi de cette partition titanesque avec une assurance confondante.

Carmina Burana, c’est aussi, certains diront surtout, une partie chorale dantesque. Les phalanges capitolines, y compris la Maîtrise maison, étaient donc de ce rendez-vous. Largement sollicitées, elles furent, comme à leur habitude, d’une précision et d’une dynamique renversantes.
C’est le chef du Chœur de l’Opéra national du Capitole, Gabriel Bourgoin, qui assurait la direction musicale de cet ensemble, avec toute l’énergie que nous lui connaissons, sublimant les rythmes aux allures primitives de l’œuvre, sans faire l’économie de moments intensément poétiques, voire élégiaques. Sa direction, formidablement évocatrice, nous a fait voyager dans des mondes vertigineusement théâtraux.
Une grande réussite, ovationnée par un public en délire !
Robert Pénavayre
Photo : Pierre-Emmanuel Roubet, Anaïs Constans, Gabriel Bourgoin et Pierre-Yves Pruvot