Anne-Catherine Gillet a maintes fois triomphé au Capitole de Toulouse, se faisant applaudir dans une dizaine de rôles : Sophie (Le Chevalier à la rose), Aricie (Hippolyte et Aricie), Fiordiligi et Despina (Cosi fan tutte), Constance (Dialogue des Carmélites), Suzanne (Les Noces de Figaro), Papagena (La Flûte enchantée), Lauretta (Gianni Schicchi), Poppée (Le Couronnement de Poppée), Zdenka (Arabella) et même, toute jeune, dans la Gabrielle de La Vie parisienne. La soprano belge nous revient dans un rôle qu’elle connait bien, celui de Leïla des Pêcheurs de perles.
Rencontre.
Classictoulouse : Vous avez été affichée au Capitole de Toulouse de nombreuses fois. Quels sont, à ce jour, vos grands souvenirs dans cette maison ?
Anne –Catherine Gillet : Certainement Le Couronnement de Poppée dans la merveilleuse mise en scène de Nicolas Joel, sous la direction de Christophe Rousset et avec des partenaires extraordinaires, dont Sophie Koch dans le rôle de Néron. C’était en avril 2006. Je ne faisais pas alors beaucoup de répertoire baroque et me trouver immergée au milieu de tous ces talents rompus à ce style a été un moment unique. De plus au départ mon contrat n’était pas pour Poppée mais pour un second rôle. Lorsque Nicolas Joel m’a proposé le rôle-titre j’ai accepté mais avec un peu de crainte tout de même.
Votre répertoire couvre plusieurs siècles. Comment travaille-t-on cette vaste étendue de styles ?
J’essaie chaque fois de travailler avec des chefs de chant spécialisés dans les différents répertoires. Par exemple pour Hyppolite et Aricie j’ai pu compter sur Benoît Hartoin. En fait je n’ai pas été formée à un style. J’ai débuté dans la troupe de l’Opéra royal de Wallonie. C’est une école formidable pour apprendre car tous les mois j’étais distribuée dans une nouvelle production.
Vous avez déjà interprété le personnage de Leïla. Tracez-nous-en le portrait.
C’est une jeune fille qui accomplit son devoir. Elle est là en tant que prêtresse veillant sur les pêcheurs durant leur activité, dangereuse par définition. Mais on sent rapidement qu’elle a été désignée et que ce n’est pas tout à fait son vœu. Elle a une mission de protection, c’est son destin, qu’elle le veuille ou non. C’est d’autant plus terrible pour elle qu’elle est amoureuse d’un jeune homme et que cet amour sera plus fort que sa mission. Contrairement à ce que l’on peut imaginer, c’est une femme très courageuse. Pour preuve son duo avec Zurga dans lequel elle s’offre à sa vindicte en protégeant Nadir. A l’instar de Juliette et de Marguerite, Leïla évolue énormément du début à la fin de l’ouvrage. D’ailleurs, globalement, dans l’opéra ce sont les personnages féminins qui présentent le plus d’évolution dans leur caractère. C’est un personnage très courageux qui, dans son enfance, a sauvé Zurga de ses agresseurs.
La version originale du rôle a été créée par une de vos compatriotes, la soprano belge Léontine de Maësen qui créa également les versions françaises de Don Pasquale, Rigoletto et Norma, du moins le rôle d’Adalgise. Trop souvent quasiment confondu avec le rôle de Lakmé, pour des raisons certainement de paysage, en fait Leïla réclame une toute autre voix. Quelles sont les difficultés mais aussi les bonheurs que l’on rencontre à chanter ce rôle ?
On a un peu l’impression que Bizet a composé le 1er acte pour une voix qui n’est pas celle des actes suivants. C’est un peu comme Gounod et la valse de Juliette. La prière de Leïla est faite de notes piquées, l’écriture est très légère, presque sautillante, avec des vocalises, rien à voir avec ce qui suit. Il est clair que cela demande à l’interprète de bien chauffer sa voix avant d’entrer en scène. Mon kif, si je puis dire, c’est à la fin du duo avec Zurga, quand je peux lui lancer à la figure que je le maudis et que j’aime Nadir. Pour moi c’est totalement jouissif !
Quels sont les rôles que vous ambitionnez de mettre à votre répertoire dans les années à venir ?
J’adorerais que l’on me propose la Louise de Gustave Charpentier. J’aimerais refaire Blanche de la Force, peut-être aussi une dernière fois Mélisande… Cela dit, ma voix ne change pas beaucoup et je suis de plus en plus en sécurité avec les rôles de mon répertoire actuel. Pour tout vous dire, ma nature profonde me glisse à l’oreille qu’aujourd’hui que ce que j’aime le plus c’est de m’amuser. Par exemple, concernant Cosi fan tutte, je ne refuserais pas de reprendre Despina. Même chose pour la Musette de La Bohème. En fait, scéniquement je donne mon meilleur quand je peux faire le pitre.
Quels sont vos projets après Les Pêcheurs de perles de Toulouse ?
Je pars en Avignon pour L’Heure espagnole puis La Veuve joyeuse à Marseille.
L’art lyrique semble entrer dans une crise budgétaire profonde en termes de subventions, de coûts, etc. Quel est votre réflexion sur ce sujet ?
J’ai débuté il y a plus de vingt ans. J’étais très confortable dans ma carrière car le travail venait vers moi. Vraiment j’ai beaucoup d’admiration pour tous ces jeunes chanteurs qui se démènent comme ils peuvent pour être sur scène de nos jours. Il leur faut une confiance en eux-mêmes inébranlable, ne jamais se décourager, activer en permanence leurs réseaux. Je suis persuadée qu’il faudrait repenser à la formule « troupe », afin de sécuriser le métier, un métier qui n’est pas facile du tout et que peu de personnes appréhendent dans son intégralité. Le but est de retrouver un esprit de « famille ». Le métier va devoir réfléchir à pas mal de sujets et pas seulement des thèmes artistiques. Et puis il y a le Capitole, un modèle en la matière. Regardez ces Pêcheurs, sept représentations dont une supplémentaire et qui vont se jouer à guichet fermé. Deux mots si vous voulez bien avant de nous quitter au sujet de ce spectacle. D’abord la mise en scène du chorégraphe Thomas Lebrun qui va faire du Corps de ballet un personnage à part entière. C’est original et fascinant. Vous dire aussi que les costumes sont flamboyants. Enfin la direction musicale de Victorien Vanoosten nous offre la vision d’un chef qui connait parfaitement cette partition pour l’avoir dirigée à plusieurs reprises. C’est très rassurant pour les interprètes.
Propos recueillis par Robert Pénavayre le 14 septembre 2023