Opéra

Adrienne Lecouvreur au Capitole, un succès phénoménal !

1er acte

La première des reprises actuelles au Théâtre du Capitole du chef-d’œuvre de Francesco Cilea : Adrienne Lecouvreur, vient de connaître en ce 20 juin 2025, un triomphe qui tient du séisme. Il faut dire que tout était réuni pour que cette soirée soit pétrie d’émotion et… de suspense. Imaginez ! Deux jours avant, José Cura (Maurizio) déclarait forfait pour raison médicale. Il ne restait donc plus à Christophe Ghristi que 48h pour trouver un remplaçant. Un vrai challenge car cet opéra est très peu affiché à vrai dire en comparaison de Tosca, Rigoletto ou autre Bohème. Qu’à cela ne tienne, le rideau s’est bien levé et nous avons fait connaissance avec Vincenzo Costanzo. Ce jeune trentenaire italien fait une carrière européenne notable et vient donc au Capitole pour la première fois. Saluons tout d’abord le cran de cet artiste arrivé in extremis et jeté sur scène dans une œuvre qu’il connaît certes mais qui est tout de même particulièrement exigeante. Le public capitolin ne s’est pas trompé sur cette performance et lui a réservé au rideau final une ovation tellurique… autant que méritée. D’autant que cet artiste à la technique sans faille, tout comme un ambitus particulièrement homogène et développé, n’a pas lésiné, avec une générosité jubilatoire, sur des points d’orgue qui ont fait se pâmer les amateurs de beau chant qui fréquentent cette salle. 

Lianna Haroutounian, Adrienne Lecouvreur au Capitole de Toulouse

Créée en 2002 en Italie et signée d’Ivan Stefanutti (mise en scène, scénographie et costumes), cette production décale l’action de deux siècles, passant de 1730 aux débuts d’un 20e siècle Arts Décos. Dans sa note d’intention, Ivan Stefanutti voit en Adrienne Lecouvreur la première image du star système qui explosera avec le cinéma. Dans tous les cas, cette production, agréable à regarder, rend l’intrigue parfaitement lisible, une intrigue mettant à mal Maurizio, tiraillé entre ses ambitions politiques et son amour pour Adrienne.

Au-delà de tout il y a une partition dont la création en 1902 porte les traces d’une école illustrée également par Puccini, Mascagni, Zandonaï, Leoncavallo entre autres. Cette partition aux infinies subtilités a le pouvoir de nous parler avec la violence des sentiments qu’elle suggère : passion, colère, haine, abandon, folie… Le maestro Giampaolo Bisanti fouette l’Orchestre national du Capitole pour lui faire atteindre des sommets d’émotion. Sous la direction de Gabriel Bourgoin, le Chœur de l’Opéra national du Capitole joint ses qualités à la réussite de cette soirée, tout comme les trois danseurs du Ballet de l’Opéra national du Capitole (direction de Beate Vollack) qui, dans une chorégraphie de Michele Cosentino, nous donnent à voir un divertissement au 3e acte qui ancre bien cette production dans son temps puisqu’elle fait clairement allusion à l’Après-midi d’un faune dansé par Nijinski en 1912.

Lianna Haroutounian (Adrienne Lecouvreur) et Nicola Alaimo (Michonnet) au Capitole de Toulouse

Au cœur d’une distribution sans faille, Nicola Alaimo

Il est un peu étrange en parlant d’Adrienne Lecouvreur d’évoquer en premier le personnage de Michonnet. Et pourtant. Quel rôle ! celui d’un régisseur de la Comédie-Française éperdument amoureux d’Adrienne et qui n’osera jamais le lui avouer. C’est un personnage bouleversant, trop souvent distribué à des seconds plans. Mais nous savons qu’au Capitole ce terme n’existe pas. La preuve ? Christophe Ghristi a invité pour l’interpréter rien moins que l’immense baryton Nicola Alaimo. Dès ses premiers mots la voix envahit sans coup férir et malgré un orchestre qui sera toujours très présent, la salle du Capitole. Le timbre est somptueux d’harmoniques fauves jusque dans les aigus, les registres sont parfaitement soudés et projetés avec la même autorité.  Ce qui n’empêche pas Nicola Alaimo d’orner sa ligne de chant de demi-teintes magnifiques. Le personnage n’est pas en reste car ce chanteur est un artiste. Dès qu’il est sur scène il se passe quelque chose. Il aimante littéralement les regards. Un grand qui reçut en récompense une formidable ovation du public. Ce coup de cœur évoqué, passons tout de même à la suite d’une distribution qui ne manquait pas d’atouts maîtres.

Pierre Derhet (Abbé de Chazeuil) et Roberto Scandiuzzi (Prince de Bouillon) dans Adrienne Lecouvreur au Capitole de Toulouse

Lianna Haroutounian connaît son Adrienne de longue date et nous fait bénéficier de sa familiarité avec ce rôle, l’imprégnant d’une émotion permanente magnifiée par un soprano opulent auquel elle confie des envolées lyriques de toute beauté. La Princesse de Bouillon trouve avec la mezzo-soprano Judit Kutasi une venimeuse rivale à cette tragédienne du Français. Ici encore l’organe est opulent et la projection péremptoire traduit à merveille toute la colère de cette femme puissante mais  trahie.  Roberto Scandiuzzi est bien sûr un Prince de Bouillon luxueux, autant par sa présence que par une ligne de chant qu’il déploie sur un timbre qui a gardé toute sa couleur nocturne. Pierre Derhet est un abbé de Chazeuil tout encombré de pulsions dont on n’a pas de peine à comprendre les teneurs… Son ténor, subtilement mené, traduit à merveille l’ambigüité de ce personnage. Cristina Giannelli (Melle Jouvenot), Marie-Ange Todorovitch (Melle Dangeville), Damien Bigourdan (Poisson), Yuri Kissin (Quinault) et Hun Kim (Majordome), complètent à la perfection cette distribution sans faille aucune.

Un spectacle follement acclamé par un public en délire qui achève en majesté la saison lyrique 24/25 de l’Opéra national du Capitole de Toulouse.

Robert Pénavayre

Représentations jusqu’au 29 juin 2025

Renseignements et réservations : www.opera.toulouse.fr

Photos : Mirco Magliocca


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