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Violoncelle et orchestre, grandeur et beauté

Le traditionnel concert symphonique offert par le festival Toulouse d’Eté réunissait cette année le 18 juillet dernier deux invités de l’Orchestre national du Capitole, le jeune chef letton Andris Poga et le tout jeune violoncelliste français Edgar Moreau. Tous deux ont déjà impressionné le public toulousain lors de précédentes collaborations avec la phalange toulousaine. C’est néanmoins la première fois qu’ils se retrouvent ainsi associés dans un même concert.
Andris Poga est diplômé, en direction d’orchestre de l’Académie de musique Jazeps Vitol de Lettonie, et en philosophie de l’Université de Lettonie. Il a participé aux master-classes de Mariss Jansons, Seiji Ozawa et Leif Segerstam. En 2010 il remporte le premier prix du prestigieux Concours international de chefs d’orchestre Evgeny Svetlanov ; un prix qui le projette sur le devant de la scène. Il sera nommé successivement chef assistant de Paavo Järvi à l’Orchestre de Paris pour trois ans (2011), chef assistant de l’Orchestre Symphonique de Boston (2012) et participe au Festival de Tanglewood. En 2013, il prend la direction musicale de l’Orchestre Symphonique National de Lettonie. En 2013 également, il a remplacé successivement, et au pied levé, George Prêtre et Mikko Franck avec l’Orchestre de Paris et en 2014 Lorin Maazel et Valery Gergiev avec l’Orchestre Philharmonique de Munich lors d’une tournée en Asie. En 2017, il remplace également Japp van Sweden à la direction de l’Orchestre de Paris à la Philharmonie de Paris. Andris Poga est l’invité des grandes formations orchestrales internationales.

Edgar Moreau, soliste du Concerto pour violoncelle et orchestre de Dvořák

– Photo Classictoulouse –

Né en 1994 à Paris, Edgar Moreau, quant à lui, commence le violoncelle dès l’âge de quatre ans, en même temps que le piano, instrument pour lequel il obtient son prix au Conservatoire de Boulogne-Billancourt en 2010. Après avoir bénéficié de l’enseignement de Xavier Gagnepain, il poursuit ses études au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris dans la classe de Philippe Muller, ainsi que dans celle de Claire Désert pour la musique de chambre. A onze ans, il se produit avec l’Orchestre du Teatro Regio de Turin, et avec l’Orchestre de l’Opéra de Massy, l’Orchestre de Douai, le Musica Viva Orchestra, le Svetlanov Symphonic Orchestra de Russie et le Sinfonia Iuventus Orchestra (sous la direction de Krzysztof Penderecki). Il a notamment joué à Toulouse le deuxième concerto de Chostakovitch, avec l’orchestre du Théâtre Mariinsky sous la direction de Valery Gergiev. Coiffé en pétard, l’allure d’un adolescent d’aujourd’hui, Edgar Moreau est devenu, dès ses premières apparitions sur une estrade de concert, l’un des grands violoncellistes de notre époque.

Il aborde cette fois à Toulouse l’une des partitions pour son instrument les plus exigeantes de la période romantique, le Concerto en si mineur d’Antonin Dvořák. Conçu et achevé durant l’hiver 1895 lors du séjour du compositeur aux États-Unis cette œuvre de vastes proportions rejoint ses deux autres créations « américaines » que sont sa Symphonie n° 9 « Nouveau Monde » et son quatuor « Américain ». Les premières mesures de l’Allegro initial installent une atmosphère mystérieuse qu’un crescendo admirablement mené transforme en apothéose orchestrale. L’entrée du soliste témoigne d’une grande subtilité. Edgar Moreau impose sa sonorité d’une grande richesse, la beauté d’un vibrato chaleureux, mais surtout un jeu d’un raffinement et d’une sensibilité qui font de son interprétation un modèle de musicalité. Si l’opulence orchestrale, notamment celle des bois aux splendides sonorités tend à noyer parfois les traits subtils du violoncelle lors du premier mouvement, l’équilibre entre le soliste et le tutti s’établit progressivement au cours de l’exécution pour atteindre un bel accord expressif. La poésie des phrasés, le lyrisme contenu du soliste trouve dans l’Adagio ma non troppo de belles répliques de l’orchestre. Enfin, un héroïsme conquérant émerge de la marche sourde qui ouvre l’Allegro moderato final. Même dans les passages les plus exacerbés, les plus virtuoses de cette section, Edgar Moreau ne se départit jamais de la beauté intrinsèque, des couleurs chatoyantes de son chant.

L’Orchestre national du Capitole, dirigé par Andris Poga à l’issue de l’exécution de la Symphonie n° 12 de Chostakovitch – Photo Classictoulouse –

Suite n° 3 de Johann Sebastian Bach apporte cette sérénité retrouvée après les déchaînements lyriques du concerto.

Toute la seconde partie de la soirée est consacrée à la Symphonie n° 12 en ré mineur de Chostakovitch, une partition finalement assez peu jouée parmi les quinze que compte son riche patrimoine orchestral. Sous-titrée « L’année 1917 », cette partition date de 1961. Elle fait suite à la symphonie n° 11, dédiée à la mémoire de Lénine et évoque les événements de la Révolution russe d’Octobre 1917. Chacun de ses quatre mouvements, joués dans la continuité, évoque un fait révolutionnaire lié à la « Grande révolution ». Les premières mesures aux cordes graves du mouvement initial, « Le Petrograd révolutionnaire » (Moderato – Allegro), installent une atmosphère d’attente, à la fois inquiétante et chargée d’émotion. Tout ce premier volet résonne ensuite comme une implacable bataille. L’élégie, d’une indicible souffrance, imprègne « Razliv » (nom de la localité où résidait clandestinement Lénine pendant ces événements). Un somptueux solo de trombone, admirablement déclamé par Dominique Dehu, ponctue ce volet d’un profond dramatisme. Les péripéties du croiseur « Aurore », acteur décisif dans le déroulement de la Révolution, animent le troisième volet qui impressionne par la multiplication des épisodes de pizzicati, d’une précision diabolique. Et c’est enfin la péroraison lumineuse du final, lui aussi enchaîné, intitulé « L’Aube de l’humanité », d’un optimisme militant.

Tout au long de cette exécution, la cohésion de tous les pupitres, l’équilibre parfait qui s’établit entre eux, l’exactitude rythmique extrême, le déploiement rutilant des couleurs s’avèrent impressionnants. Même dans les fortissimi les plus dévastateurs, la direction d’Andris Poga ménage les nuances les plus subtiles. Le contrôle de la masse orchestrale reste impeccable. Un grand bravo à tous pour cette réhabilitation d’une partition parfois injustement sous-estimée.

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