Chanter dans une grange, celle du Château du Saillant, sur une scène qui s’apparente à des tréteaux de saltimbanques, avec un décor minimaliste et accompagné au piano relève toujours d’un challenge téméraire. Pourtant c’est celui que se fixe tous les ans la troupe britannique Diva Opera. Au programme de cette année, deux chefs-d’œuvre, chacun dans leur genre : l’emblématique Don Giovanni de Mozart et les plus que complexes Contes d’Hoffmann d’Offenbach. Paris tenus et enlevés haut la main, comme d’habitude serions-nous tentés de dire, et ce grâce à un esprit de troupe dont on peut à cette occasion juger de l’efficacité.
Don Giovanni : Avant-dernière scène – Photo Christian Delmas –
C’est le superbe Figaro rossinien de l’édition 2013 de cette tournée qui est cette année ce fameux Don Giovanni : David Stephenson. Dire qu’il possède le rôle tient de l’euphémisme. Au travers d’un engagement dramatique de tous les instants, s’appuyant sur un organe de baryton aux chaudes couleurs crépusculaires, cet artiste trace ici un portrait du burlador de Sevilla d’une formidable intensité. Le Leporello de Matthew Sprange ne lui cède en rien et nous distille, entre autre, un air du Catalogue de la meilleure facture. Ana James (Anna) et Catharine Rogers (Elvira) affrontent leur rôle, dont on connaît les multiples écueils vocaux et stylistiques, avec une autorité souveraine. Matthew Hargreaves est un Commandeur à la voix tellurique et au phrasé d’une belle ampleur (le lendemain il sera les Diaboliques des Contes !). Robert Anthony Gardiner (Ottavio) ne dispose que du seul Dalla sua pace pour faire valoir un joli timbre et une belle musicalité. Le couple Masetto/Zerlina (Joanna Foote) est cependant dominé par Julian Charles, dont le timbre franc et sonore ainsi qu’une incroyable acuité d’incarnation font merveille dans ce rôle. La mise en scène de Cameron Menzies fait appel aux moindres ressources des interprètes et trouve son acmé dans la confrontation finale entre le Don et le Commandeur, une merveille d’émotion et de grandeur.
Les Contes d’Hoffmann :
Michael Bracegirdle (Hoffmann) et Lorna James (Giulietta)
– Photo Christian Delmas –
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Avec les Contes offenbachiens, le challenge est d’un autre genre. Récitatifs (ou pas), version (laquelle ?), décors (nombreux), difficulté majeure du rôle-titre (titulaires rarissimes), chœurs, langue française (quelques récitatifs sont parlés en anglais avec un effet comique immédiat), les obstacles sont nombreux ! En gros, il fallait oser. Et pourtant la magie encore une fois opère. Les magnifiques costumes de Maïté Chemin servent en fait de décors mouvants et campent parfaitement chacun des épisodes des rêves du poète. Le metteur en scène David Edwards prend l’option de faire de toutes les rencontres amoureuses d’Hoffmann une source d’inspiration que l’écrivain consigne avec frénésie sur son calepin.On note bien sûr quelques coupures, dont le second couplet de Frantz, mais le septuor est bien là, pour le plus grand plaisir de l’assistance.
Michael Bracegirdle se mesure à Hoffmann avec un cran dont il faut lui rendre justice. Il trouve le meilleur de ses qualités dans un medium d’une belle rondeur, le registre aigu, vaillant certes, faisant entendre un métal manquant de vibration. Louise Mott, tour à tour La Muse et Nicklausse, est un modèle de phrasé et de prosodie, avec un timbre chaud et velouté. Il n’est rien de dire combien les Diaboliques conviennent au Commandeur de Matthew Hargreaves grâce à une voix longue, parfaitement timbrée et à l’aigu impérieux. Et quels personnages. Son Miracle fait passer le frisson. Samuel Smith (Andres, Nathanael, Spalanzani, Pittichinaccio, Frantz) est peut-être la découverte de cette tournée. Le timbre de ce ténor est lumineux, la voix bien posée et longue, l’aigu d’une parfaite rondeur et le comédien totalement engagé. A suivre certainement. Mary O’Sullivan impose une Olympia de grande classe, ornant vertigineusement la reprise de son air avec une sûreté et une audace extrêmes. Lorna James domine l’acte de Venise de sa voix sombre aux aigus royaux. Elle sera par la suite la Mère d’Antonia avec la même autorité, alors que l’Antonia de Stephanie Corley souffre d’un timbre métallique pas toujours agréable à entendre, même si ce soprano fait d’incontestables efforts de musicalité.
C’est Bryan Evans qui, depuis son piano, accompagne ces spectacles avec une ébouriffante science lyrique. Aucun départ n’étant donné aux chanteurs, on imagine à peine le travail de mise en place musicale que cela demande en amont. Dans tous les cas, l’enthousiasme du public valide bien le professionnalisme de cette troupe.
Le festival se poursuit jusqu’au 23 août avec encore de très belles rencontres à venir (www.festival-vezere.com).