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Une prodigieuse analyse de Parsifal

Les protestations véhémentes de certains spectateurs s’opposant aux bravos enthousiastes des autres constituent en général la marque d’une avancée (positive ou négative) dans l’interprétation scénique d’une œuvre lyrique. Cela est d’autant plus vrai dans ce légendaire Festspielhaus de Bayreuth marqué par les querelles de légitimité, notamment en matière de fidélité à l’œuvre de Wagner.

Acte III : Kwangchul Youn (Gurnemanz), Christopher Ventris (Parsifal),

Mihoko Fujimura (Kundry) © Bayreuther Festspiele GmbH : Enrico Nawrath

La nouvelle production de Parsifal, qui représente l’événement majeur du festival 2008, en constitue l’exemple type. Signée du jeune metteur en scène norvégien Stefan Herheim et du chef d’orchestre italien Daniele Gatti, pour la direction musicale, elle propose une approche d’une rare intelligence dramatique et d’une qualité musicale de tout premier plan.

Riche, foisonnante, pleine d’idées, de références historiques, esthétiques et même cinématographiques, la conception scénique de Stefan Herheim embrasse le mythe du chevalier du Graal dans sa globalité. Elle donne même à assister, dès le prélude, à la mort poignante de Herzeleide, la mère du gamin Parsifal en touchant vêtement de marin. Le jeune enfant hante d’ailleurs toute la représentation de sa frêle silhouette. Le dispositif scénique évolue sans cesse, illustrant au plus près la dramaturgie. Il explique, commente, dissèque même ce qui souvent reste dans l’ombre. Il éclaire ainsi le grand récit de Gurnemanz qui révèle alors scéniquement tout son contenu.

Le point nodal du décor reste le lit de mort de Herzeleide, lieu de naissance aussi et de luxure, à travers lequel les personnages apparaissent et disparaissent. Lorsque les armées de mort de Klingsor prennent l’aspect de soldats SS avec croix gammée et mitraillette, un remous parcourt la salle… Il faut enfin évoquer le vibrant message humaniste de la scène finale. Elle offre au public un immense miroir dans lequel se reflète chacun des spectateurs présents comme pour mieux l’impliquer, l’intégrer dans la dramaturgie.

La réussite absolue de la présentation scénique accompagne une interprétation musicale magique. La direction de Daniele Gatti adopte des tempi d’une lenteur expressive dans laquelle la tension ne se relâche jamais, soutenue par des silences d’une grande force. Le chef italien obtient de l’orchestre des couleurs d’une prodigieuse beauté. Il respecte le chant sans sacrifier le moindre détail de l’orchestration. Et comme toujours, le chœur du festival déploie les somptueuses qualités sonores et expressives qu’on lui connaît.

La distribution vocale se situe sur les mêmes cimes. Il faut retenir le nom du baryton-basse coréen Kwangchul Youn qui chante le rôle de Gurnemanz avec une splendeur vocale et une humanité rares. Il en est de même pour l’Amfortas de Detlef Roth, image christique torturée et hallucinée. Klingsor, personnage d’une ambigüité sexuelle évidente (avec porte jarretelles et perruque platine !), est admirablement chanté et joué par Thomas Jesatko, alors que la belle voix de basse du Brésilien Diógenes Randes confère une grande noblesse à la courte intervention de Titurel. Quant au couple, ô combien ambigu lui aussi Parsifal-Kundry, il fonctionne à merveille. Christopher Ventris, voix solide bien qu’un peu dure par moments incarne avec conviction le chaste fol, alors que la japonaise Mihoko Fujimura affronte sans difficulté la périlleuse tessiture de Kundry, endossant avec talent toutes les facettes de ce personnage multiple, amante et mère, prédatrice et victime.

Une grande et belle production qui renouvelle positivement le message de Parsifal.

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