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Trois chorégraphes et une Etoile dansent l’amour

Pour sa première apparition en Espagne, l’Etoile russe Svetlana Zakharova, star du Bolchoï et de la Scala de Milan, a choisi de se présenter en terre ibérique avec un spectacle fait à son intention : Amore. Artiste du Peuple de Russie, Svetlana Zakharova est également députée à la Douma, représentante d’un parti proche du pouvoir actuel et épouse du violoniste belgo-russe Vadim Repim.
Amore a été créé le 6 juillet 2016 au Grimaldi Forum de Monaco, ce programme comprend trois ballets signés de chorégraphes contemporains et nous montre la Zakharova évoluant du style classique au style contemporain en passant par le néo-classique. Tout cela sur bande-son enregistrée et avec la complicité de partenaires issus du Bolchoï.

Francesca da Rimini – Svetlana Zakharova et Denis Rodkin

La soirée s’ouvre sur les amours malheureuses de Francesca da Rimini. P I Tchaïkovski a composé sur ce thème une fresque symphonique profondément dramatique, qu’il ne destinait d’ailleurs pas à la danse. Créé en février 2012 par le San Francisco Ballet et Maria Kochetkova dans le rôle-titre, ce ballet met en scène Francesca, son amant Paolo et Giovanni, le mari de la belle italienne dont les amours tragiques ont été immortalisées par Dante Alighieri dans sa Divine Comédie. Ancien danseur principal du Bolchoï, où il fut pensionnaire pendant 10 ans, Youri Possokhov chorégraphie avec élégance et un classicisme assumé les derniers moments d’une relation adultère qui s’achève dans le sang. Face à Paolo (superbe Denis Rodkin) puis à Giovanni (magnétique Mikhail Lobukhin), la Zakharova déploie une technique incomparable, celle qui en a fait un parangon de la grammaire classique. Bras d’une souplesse hallucinante, jambes et pieds d’un alignement vertigineux, pointes infaillibles, tout est là pour nous faire, presque, regretter qu’elle ne soit pas Giselle ce soir. En contrepoint de l’évolution de ces trois protagonistes, trois danseurs aux collants musculeux personnifient les Gardiens de l’Enfer dans lequel Giovanni va être précipité après son geste fatal, tandis que cinq danseuses, de rouge vêtues, semblent nous transcrire les états d’âmes dans lesquels se débat la belle Francesca.

Strokes Through The Tail, avant les changements de costume – Photo Toti Ferrer –

C’est sur un medley musical signé Jean-Sébastien Bach, Ottorino Respighi et Carlos Pino-Quintana que se poursuit la soirée avec le Rain Before It Falls du chorégraphe et danseur allemand Patrick de Bana. Dans un style néo-classique, cet artiste germano-nigérian s’inspire du roman éponyme de Jonathan Coe (2009 – La pluie, avant qu’elle tombe). Il nous parle d’amours invisibles, indicibles. Ce ballet écrit spécifiquement pour la Zakharova est en fait une extension d’un précédent ballet de ce chorégraphe : Digital love, déjà pour la star moscovite. Créé à Modène en 2016, The Rain Before It Falls réunit une danseuse et deux danseurs. Un brin distante mais toujours impériale, la Zakharova est ici entourée de Patrick de Bana lui-même et d’une autre star russe, Denis Savin. Ce ballet « parle de tout et de rien. C’est l’histoire d’un écrivain tourmenté par ses démons » déclarait le chorégraphe dans un récent entretien au magazine Dansomanie. Cela ressemble à un drame relationnel terriblement abstrait dans lequel Denis Savin, superbe danseur au demeurant, semble errer, perdu dans une aventure qui pourrait ne pas le concerner, parfois simplement assis sur le bord de la scène, pointant le ciel d’un doigt fébrile… Dommage qu’un tel potentiel ne soit pas davantage exploité !

Le programme se conclut sur un changement radical de ton avec le Strokes Through The Tail de la chorégraphe allemande d’origine irlandaise Marguerite Donlon, créé en 2005 à Chicago. Sur la 40ème de Mozart, Svetlana Zakharova habillée d’une queue de pie évolue au cœur d’un groupe de cinq garçons ceints de longues jupes transparentes dans une pièce à l’évidence comique (inversion des costumes en cours de ballet), au style résolument moderne, qui bouscule les genres. La grammaire est virtuose, parfaitement accomplie par des artistes en osmose totale avec ce clin d’œil amusant un rien décalé.

Au final une soirée assurément et surtout pour ballettomanes avertis qui nous aura montré l’école russe dans toute sa discipline et sa formidable technicité mais qui ne nous aura pas épargné un sentiment de distance, de froideur, de manque d’empathie et d’émotion que le titre de ce programme ne pouvait laisser supposer. Dans ce style de soirée à programme, celle que nous a offert ce festival en 2016 avec Roberto Bolle and Friends avait soulevé un autre enthousiasme. Pour le moins !

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