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Trente bougies pour un orgue

En 1981, grâce à l’action conjuguée de Xavier Darasse et de Denis Milhau, alors conservateur du musée des Augustins, la belle église des Augustins recevait un orgue d’une qualité exceptionnelle. Conçu et construit par le grand facteur allemand Jürgen Ahrend, cet orgue exemplaire s’inspire des grands instruments baroques d’Allemagne du Nord. Le 9 octobre dernier, le 16ème Festival International Toulouse les Orgues célébrait donc le trentième anniversaire de cette naissance. Il confiait à Jan Willem Jansen, titulaire de cette tribune, le soin d’en exalter les ineffables qualités.

Ainsi que le rappelle avec justesse et émotion Michel Bouvard en début de concert, Willem Jansen est certainement l’un des musiciens les plus légitimes à jouer cet orgue. Né et formé en Hollande, s’étant perfectionné à Toulouse auprès de Xavier Darasse, il reste imprégné de cette culture musicale du Nord de l’Europe. Les sonorités de l’orgue Ahrend, nouvelles pour les musiciens méridionaux, font partie de son héritage artistique. Pour cette fête d’anniversaire du 9 octobre, Willem Jansen a conçu un programme d’une incroyable beauté, tellement bien adapté à ce monument que les œuvres, l’interprète et l’instrument semblent indissociables !

L’orgue Ahrend de l’église-musée des Augustins – Photo Classictoulouse

Les deux volets de ce récital possèdent des caractères très différents et judicieusement complémentaires. La première partie, consacrée au seul compositeur gallois de la fin du XVI° siècle et du début du XVII° siècle, Thomas Thomkins, se révèle sans concession. La plupart des pièces jouées sont des « In nomine », basées, comme l’indique Willem Jansen lui-même dans le programme de salle, sur « ces longues notes suspendues, sans poids, planant sans direction précise, ces contrepoints continuellement en dialogue par imitation… » Une émouvante sérénité émane de ces partitions qui semblent se construire sous les doigts de l’interprète. Elles paraissent adopter la géométrie d’un arbre. Le tronc de l’énoncé grégorien élabore peu à peu ses ramifications qui envahissent l’espace sonore comme les branches partent à la conquête du ciel. Identifiées seulement par leur date de composition, ces pièces n’en possèdent pas moins leur spécificité. L’austérité domine « A Verse of three parts », alors que le « In nomine » de juin 1648 évolue comme un paysage qui s’éclaire et que l’imposante apothéose d’octobre 1648 s’oppose à la profonde méditation de « A Sad Pavana » (Un pavane triste).

L’organiste Willem Jansen

Trois compositeurs occupent la seconde partie. Une certaine italianité imprègne le Magnificat Secundi Toni de l’Allemand du Nord, Matthias Weckmann. Une brillante ouverture met en évidence les riches sonorités de registration, ouvrant la voie notamment au tonique et flamboyant « Tertius Versius ». Le Magnificat Noni Toni, d’un autre Allemand du Nord, Delphin Strungk, fait appel aux douceurs des jeux de flûte, avec, pour son « Versus Tertius » un étonnant passage en écho magnifiquement registré par l’interprète. C’est avec le plus célèbre des organistes d’Allemagne du Nord de la première moitié du XVII° siècle, Heinrich Scheidemann, que s’achève le concert. En bon précurseur d’un certain Johann Sebastian Bach, son Magnificat 1. Toni porte sur les sommets une technique raffinée de la grande variation. Le « 4° Versus » achève l’œuvre sur la douceur céleste des flûtes.

La luminosité cristalline de cet orgue éblouissant ne pouvait trouver musicien mieux qualifié que Willem Jansen pour lui permettre d’atteindre cette émouvante grandeur à l’occasion d’un anniversaire mémorable.

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