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Tout feu tout flamme !

Le retour à Toulouse, à l’invitation de Piano Jacobins, de Boris Berezovsky, marque du sceau du prestige le festival toulousain. La carrière de ce moscovite, titulaire de la médaille d’or du Concours International Tchaïkovsky 1990, connait un développement exceptionnel dans les trois principaux domaines de son instrument : le piano solo, le concert avec orchestre et la musique de chambre. Si ce colosse du clavier s’avère capable de déployer une énergie sans limite, son jeu volontaire n’en est pas moins doué d’une grande diversité expressive.
Aux Etudes de Ligeti, qu’il avait tout d’abord envisagé de jouer en ouverture de son récital du 7 septembre, Boris Berezovsky a choisi de substituer Debussy. Le choix judicieux d’une dizaine de Préludes extraits du 1er Livre est précédé, en guise d’introduction de deux Images de la première série : Reflets dans l’eau et Mouvement. Aux premiers accents de Reflets dans l’eau, on sait que le Debussy de Berezovsky ne suivra pas la route tracée par les grands ancêtres que furent Walter Gieseking ou Vlado Perlemuter. Les auditeurs qui recherchent l’extase langoureuse, le mezza voce, le sous-entendu peuvent être déçus. Le Debussy du pianiste vient d’ailleurs. Il donne du muscle, sonne haut et clair, ses tempi rapides ne laissent pas la rêverie s’attarder sur les chemins de l’impressionnisme.

Le pianiste russe Boris Berezovsky lors de son récital à Piano Jacobins

© Classictoulouse

Si les deux Images déconcertent par le contraste qu’elles provoquent vis à vis des attentes (Ah ! ces habitudes d’écoute…), dans la suite des Préludes, ce “Debussy autrement” finit par convaincre. Paradoxalement, l’énergie explosive de l’interprète sait se discipliner dans les pièces intimes. Ainsi, la magie de Des pas sur la neige opère immédiatement, la délicatesse de La fille aux cheveux de lin, le mystère de La cathédrale engloutie et son crescendo irrésistible font mouche. La dynamique déployée dans Le vent sur la plaine ou encore dans Ce qu’à vu le vent d’ouest impressionne autant qu’elle séduit par la palette de couleurs qu’elle convoque au premier plan.

Si La danse de Puck et Minstrels manquent un peu de légèreté, l’ironie bancale de La sérénade interrompue n’échappe pas à l’interprète. Rythmes, couleurs, dynamique concourent à révéler un autre visage musical de Claude de France, un visage de chair et de sang.

La seconde partie de la soirée voit le retour du pianiste vers son répertoire plus habituel, celui des grandes fresques de Robert Schumann. Après le déploiement debussyste extraverti de la première partie de soirée, l’Arabesque en ut majeur op. 18 dévoile un Schumann introverti. Les premières mesures murmurent une confidence émouvante, presque tragique dont le discours développe une atmosphère intimiste, comme si le pianiste jouait pour lui-même. Etonnant Boris Berezovsky qui passe avec une aisance extrême de l’abattement à la révolte. C’est ce que l’on observe avec les trois volets de la Fantaisie en ut majeur op. 17. Le pianiste hisse ici la grand voile ! L’ardeur, l’héroïsme, la violence même, côtoient la douceur subite, l’introspection. L’interprète met à nu le caractère cyclothymique de Schumann. Le rêveur Eusebius et Florestan le passionné se relaient au devant de la scène. Les contrastes sont exacerbés dans une agogique dont la liberté de jeu évoque une improvisation enflammée.

C’est encore en compagnie de Schumann que Boris Berezovsky choisit de tirer sa révérence. Quelques pièces des vigoureuses Davidsbündletänze et l’éblouissant défi de la Toccata op. 7 déchaînent l’ovation du public…

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