Le grand talent de Till Fellner est véritablement découvert lorsque le jeune pianiste viennois, élève notamment d’Alfred Brendel, remporte en 1993 le Premier Prix du prestigieux concours Clara Haskil de Vevey. Le voici donc revenu à Toulouse, le 8 septembre dernier, avec un programme à son image, ouvert sur un large répertoire, profondément et simplement musical.
En bon Viennois tout imprégné de classicisme, Till Fellner ouvre la soirée avec Joseph Haydn. Sa sonate n° 60, en ut majeur, est un concentré de l’art et de l’esprit du compositeur : perfection de la forme, équilibre, subtilité de l’expression. Mais ici, par-dessus tout, l’humour le plus irrésistible se manifeste dès les premières notes. Pince sans rire, l’interprète ne se prive pas de mettre l’élégance juvénile de son jeu au service de la véritable comédie que le compositeur met en scène. Le sourire vient spontanément aux lèvres. Jouant sur les contrastes dignes d’un opéra bouffe, le pianiste construit les trois mouvements traditionnels comme on conçoit un scénario de théâtre. Du grand art, servi par une technique impressionnante du staccato-legato. Une musique du bonheur.
Le pianiste autrichien Till Fellner lors de son récital du 8 septembre 2011
dans le cloître des Jacobins
(Photo Jean-Claude Meauxsoone)
La rupture de ton, voulue et assumée, emprunte l’imagination d’un tout jeune compositeur de dix-huit ans d’origine britannique et taïwanaise, Kit Armstrong, auteur de la pièce au titre sibyllin, Half on One, Six Dozen of the Other (La moitié d’un, six douzaines de l’autre !). Cette commande de Till Fellner, écrite en 2010, est l’œuvre d’un pianiste surdoué dans de nombreux domaines, notamment les mathématiques. A noter que la première œuvre de son catalogue date de ses six ans et a pour titre Chicken Sonata (Sonate du poulet !). La partition jouée par Till Fellner démarre sur une sorte d’ostinato au rythme immuable qui peu à peu s’accélère. L’austérité de la forme rend celle-ci très perceptible, et donc très prévisible. Un double crescendo-decrescendo, comme une arche double, conduit au retour de l’épisode initial. La forme cyclique a toujours de beaux jours devant elle.
L’univers de Schumann, dont suivent les fameuses Kinderszenen (Scènes d’enfants), se situe à l’opposé de cette élaboration très intellectuelle. Est-ce un effet de la pièce précédente, mais les premiers épisodes de cette courte saga enfantine sonnent avec une rigueur inhabituelle. Tout s’éclaire à partir de Traümerei (Rêverie), et la poésie de ce cycle touchant, son charme innocent reviennent au devant de la scène, jusqu’à l’évocation de la berceuse, Kind im Einschlummern (L’enfant s’endort), et surtout au miraculeux Der Dichter spricht (Le poète parle). L’interprète y exerce son extrême sensibilité avec la finesse qui caractérise son jeu.
Bicentenaire oblige, Franz Liszt occupe toute la seconde partie de la soirée avec sa Deuxième année de Pèlerinage : Italie. Till Fellner ouvre ce beau voyage de l’esprit et du cœur sur la douce émotion qu’éveille son toucher, en parfait accord avec les évocations picturales de Raphaël et Michel-Ange (Sposalizio et Il Penseroso). A la suite de la souriante légèreté de la Canzonetta de Salvator Rosa, les trois Sonetti del Petrarca pénètrent un monde intérieur d’une grande richesse. Le pianiste réalise en particulier une éblouissante traduction du sonnet 104. Enfin, la fameuse Dante Sonata, plus exactement Après une lecture de Dante, Fantasia Quasi Sonata, conclut ce cycle sur ce mélange diabolique de réflexion et de révolte, que Till Fellner imprègne d’une poésie profonde et d’un éclat parfaitement maîtrisé.
Le bis qu’il offre renoue avec la première des Années de Pèlerinage évoquant la Suisse. Au lac de Wallenstadt referme ainsi la soirée sur un paysage d’une séduisante beauté.
Après la magnifique performance de Bertrand Chamayou qui, en ouverture de festival, a porté à incandescence l’intégralité de ce somptueux triptyque, on peut constater une fois de plus que la richesse des grands chefs-d’œuvre permet des approches aussi diverses que légitimes et belles.