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Schubert par lui-même…

Lorsqu’un interprète sert la musique au point de s’effacer devant l’œuvre qu’il aborde, il devient le passeur privilégié du message que le compositeur a imaginé. Effacement ne signifie pas neutralité, loin de là ! La grande dame du piano Elisabeth Leonskaja vient d’en faire l’éclatante démonstration lors de son récital du 8 septembre dernier, dans le cadre de Piano aux Jacobins.

Cette incomparable musicienne, devenue une habituée du festival toulousain, réserve toujours à ses auditeurs des programmes intenses et cohérents. Intégralement consacré à Franz Schubert, bis compris, son concert rassemblait deux œuvres phares, la fameuse Wanderer Fantaisie et la sonate en ut mineur D 958, la première de la trilogie finale, ainsi qu’une sonate de jeunesse, la troisième en mi majeur intitulée par l’éditeur « Fünf Klavierstücke » (Cinq pièces pour piano) et très rarement jouée.

La grande dame du piano, Elisabeth Leonskaja, interprète privilégiée de Schubert

(Photo Jean Mayerat)

Composée à l’âge de dix-neuf ans, cette unique partition en cinq mouvements réunit des pièces dont il n’est pas certain qu’elles étaient destinées à cohabiter ainsi au sein d’une même sonate. Néanmoins, tout Schubert s’y trouve déjà exposé. L’interprète ponctue de ces silences toujours un peu inquiétants dont Schubert parsème ses confidences pianistiques la grâce légère de l’Allegro moderato initial. L’Adagio central coule comme une romance, alors que la douceur imprègne tout le Scherzo et que le final, pourtant intitulé Allegro patetico, ne se départit pas d’une certaine gaîté.

Avec la Wanderer Fantaisie, se manifeste l’expression la plus aboutie du monde intérieur de Schubert. Elisabeth Leonskaja réalise là une véritable mise en scène dramatique en forme de récit. Ainsi, le long silence qui introduit la séquence centrale méditative glace le sang, alors que la passion désespérée dont elle anime le final donne la chair de poule. La performance est à la hauteur du chef-d’œuvre.

Toute la seconde partie est consacrée à la sonate n° 21 en ut mineur qui introduit donc le cycle des derniers opus dans lesquels Schubert rejoint les ultimes productions beethovéniennes. Les quatre volets de la partition se succèdent dans une grande ferveur logique. La tragédie de l’Adagio en constitue probablement le sommet expressif. Néanmoins, le final haletant, tel que l’aborde la pianiste évoque irrésistiblement cette sublime chevauchée nocturne que Schubert a dépeinte dans son lied tragique « Der Erlkönig » (Le Roi des Aulnes). Le sens de la couleur, la rigueur, mais aussi la souplesse du jeu de l’interprète font ici des merveilles.

Le public ne s’y trompe pas. Il réclame une prolongation de cet état de grâce. L’Impromptu D 899 n° 4, tout en vibrations irisées, précède l’admirable Andante de la sonate D 664 qui clôt la soirée sur un intense recueillement.

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