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Schubert, ombre et lumière

La pianiste américaine Anne-Marie Mc Dermott - Photo Matteo Trisolini -

Le 13 septembre, Anne-Marie Mc Dermott est de retour comme invitée du 44ème festival Piano aux Jacobins. La grande pianiste américaine compte parmi les fidèles amis du Festival et chacune de ses venues constitue un événement notable. Grande figure du piano américain, Anne-Marie Mc Dermott est souvent associée à Bach, mais elle excelle aussi chez Schubert dont elle a choisi ce soir-là de jouer deux grandes sonates.

Anne-Marie Mc Dermott est une habituée de ce cloître des Jacobins pour lequel elle avoue éprouver une certaine tendresse. Ce 13 septembre, elle investit les lieux avec détermination et une évidente jubilation. Vêtue de manière étincelante, elle confère aux deux sonates si différentes de Franz Schubert qu’elle a choisi de jouer, une vitalité, un relief étonnants de diversité.

La Sonate en ré majeur D. 850, qui porte le numéro 17, ouvre le récital. Surnommée Gastein-Sonate parce qu’elle fut composée en villégiature à Gastein en août 1825 Elle se place sous le signe d’une joie conquérante. Dès les premiers accords de l’Allegro vivace (bien nommé !), l’interprète lui insuffle une énergie irrésistible, étincelante. Au point d’évoquer comme un jubilatoire éclat de rire. L’énergie joyeuse qui parcourt tout ce premier volet se pare par instant d’un certain héroïsme.

Le deuxième mouvement, titré simplement Con moto, apporte un profond contraste. Le ton feutrée de la confidence s’interrompt par instants pour laisser la parole à la tragédie. Dans le Scherzo, Allegro vivace qui suit, Anne-Marie Mc Dermott souligne une autre ambigüité tellement schubertienne. Le jeu qui s’y manifeste d’abord alterne avec des épisodes de profonde méditation. Quant au final, Rondo, Allegro moderato, il n’est pas sans évoquer la grâce légère émanant d’une boîte à musique. Comme un retour vers la générosité d’une énergie sans contrainte.

Anne-Marie Mc Dermott au cloître des Jacobins – Photo Classictoulouse –

Le contraste n’est pas mince avec la seconde partition au programme du concert. Il s’agit cette fois de l’ultime sonate composée par Schubert, la Sonate en si bémol majeur, D. 960. Ce chef-œuvre absolu a acquis valeur de mythe car il s’agit là du « chant du cygne » du compositeur dans le domaine instrumental.

La pianiste y délivre ici un message d’une profonde émotion, dans un cheminement symbolique de l’ombre vers la lumière. A cet égard, le thème initial du Molto moderato, d’une intériorité poignante, résonne comme la douce plainte de l’homme vivant ses derniers instants. Sous l’ample mélodie, le grondement si caractéristique des basses évoque une sourde menace que vient prolonger une succession de silences angoissants.

L’Andante sostenuto, le cœur de l’émotion, prolonge encore cette impression angoissante de temps suspendu. La mélodie calme et recueillie, doucement plaintive, est suivi d’un épisode « optimiste » que la pianiste joue comme on esquisse un sourire à travers les larmes.

Le bref Scherzo : Allegro vivace con delicatezza sonne comme une certaine détente, comme un regard vers le haut. Si un nuage passe, il ne masque pas la poésie de ces moments souriants.

Dans le final Allegro ma non troppo, Anne-Marie Mc Dermott joue le jeu de la fantaisie retrouvée tout en donnant tout leur poids expressif au retour des moments dramatiques. Là aussi les alternances de joie et d’inquiétude sont habilement caractérisées. Jusqu’à la coda, comme proclamée avec vigueur.

L’acclamation que recueille cette exécution mémorable ramène la pianiste devant le public auquel elle offre deux bis complémentaires. Les Bourrées I et II de la Suite Anglaise n° 2 de Johann Sebastian Bach, un répertoire ô combien familier de l’interprète, est suivi de la très virtuose transcription par Franz Liszt du lied Widmung (Dédicace) de Robert Schumann. Un tourbillon de bonheur, largement applaudi.

Toujours aussi suivi par le public toulousain, le festival Piano aux Jacobins poursuit sa route réunissant artistes internationaux confirmés et jeunes talents à découvrir.

Serge Chauzy

Programme du concert donné le 13 septembre 2023 au cloître des Jacobins

  • F. Schubert

– Sonate en ré Majeur, D 850

– Sonate en si bémol, D 960

Toutes les informations sur le festival Piano aux Jacobins : https://www.pianojacobins.com/

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