La 43ème édition du Festival Piano aux Jacobins perpétue sa tradition qui consiste à inviter aussi bien les grands artistes internationaux confirmés que les nouveaux talents à découvrir. Ce 13 septembre dernier, la jeune pianiste géorgienne Salome Jordania faisait ses premiers pas dans la salle capitulaire du cloître des Jacobins où elle a reçu une belle ovation à chacune de ses interprétations.
Très jeune, Salome Jordania a remporté de nombreux prix dans son pays, la Géorgie. Elle a ensuite poursuivi ses études aux États-Unis où elle a obtenu un Bachelor à la Juilliard School ainsi qu’un Master à la Yale University School of Music. Parmi les nouvelles récompenses qu’elle a remportées figurent le Concours International de piano Jose Iturbi et le prix Georges Cziffra de la Fondation Cziffra à Vienne, en Autriche. Plus récemment, elle a remporté le concours international New York Concert Artists.
Son récital toulousain témoigne à la fois de son impressionnant accomplissement pianistique, mais également d’une grand originalité de son jeu et de sa musicalité. Dotée d’une technique irréprochable, la jeune artiste aborde chaque partition avec une liberté de ton irrésistible. Son toucher déploie en outre une palette de couleurs qui sait s’adapter à chaque style.
Elle ouvre son récital avec la Sonate n° 16 op. 31 n° 1 de Ludwig van Beethoven. Une œuvre qu’elle considère comme « l’une des partitions les plus humoristiques qu’il [Beethoven] ait jamais écrites », ainsi qu’elle nous l’indiquait dans l’entretien qu’elle a bien voulu nous accorder. Ainsi, elle aborde l’Allegro vivace initial avec un sourire et même une sorte de malice pleine d’effervescence. L’Adagio grazioso résonne comme un chant lyrique particulièrement orné, alors que le Rondo Allegretto final pétille de finesse et d’intelligence.
Salome Jordania change de monde musical avec la belle Arabesque en ut majeur de Robert Schumann. La fluidité de son toucher s’adapte parfaitement à la forme mouvante de l’écriture schumannienne. L’interprète progresse dans l’œuvre comme si elle improvisait, rendant ainsi pleine justice à l’écriture mouvante de l’œuvre.
L’enchaînement avec la Valse de Faust de Franz Liszt d’après Charles Gounod ménage un contraste particulier. Composé en 1861, deux ans après la création de l’opéra Faust, cette transcription hautement virtuose évoque successivement la valse dite « de la kermesse », le passage plus intimiste dévolu à Siebel ainsi que l’évocation de la rencontre entre Faust et Marguerite. La pianiste parvient à concilier l’éblouissement du tourbillon digital, propre à l’écriture de Liszt, et la tendresse de l’évocation des personnages de l’opéra. Une lumière changeante éclaire l’œuvre de bout en bout.
Toute la seconde partie du concert est consacrée à la Sonate n° 3 en fa mineur de Johannes Brahms. Bien qu’il s’agisse de la dernière des trois sonates du compositeur, il s’agit là d’une œuvre de jeunesse particulièrement développée qu’il soumit à son mentor de l’époque, Robert Schumann, alors qu’il n’avait qu’une petite vingtaine d’années. Dans les cinq mouvements qui se succèdent, Salome Jordania applique avec intelligence et sensibilité le qualificatif de « symphonie déguisée » attribué par Schumann à cette pièce majeure. Elle en souligne le caractère polyphonique et orchestral en mobilisant une fois encore toutes ses ressources de coloriste. Le premier Andante (Andante espressivo – Andante molto) constitue un sommet d’émotion de son interprétation. Emotion basée sur un raffinement particulier du phrasé et du legato. Toute l’œuvre respire d’une vie frémissante faite de vigueur et de poésie.
Rappelée avec instance par un public séduit et enthousiaste, la jeune interprète trouve un nouveau domaine expressif avec un bis signé Frédéric Chopin, la Grande valse brillante opus 34 n° 1, en la bémol majeur. Un déploiement de panache et de lumière qui traduit ce qui constitue peut-être la caractéristique essentielle de l’art de Salome Jordania, son bonheur évident de jouer !