Festivals

Poésie, musique et imagination

L’imagination au pouvoir pourrait être la devise du deuxième spectacle des Rencontres des Musiques Anciennes d’Odyssud. Confié à l’ensemble toulousain de cuivres anciens Les Sacqueboutiers, le programme de cette soirée du 9 avril associait musique et théâtre, avec acteurs, chanteurs, musiciens, marionnettes et projections vidéo. Ce déploiement de moyens et d’idées était placé au service d’un mythe immortel, celui de Don Quichotte, l’ingénieux hidalgo de la Mancha inventé par Miguel de Cervantes.
Comme l’indique Jean-Pierre Canihac, directeur musical des Sacqueboutiers, la motivation de départ de ce programme, reste musicale. La richesse du répertoire de la Renaissance au siècle d’or espagnol méritait un hommage particulier de la part de l’ensemble toulousain dont la composition instrumentale correspond exactement à celle des « ministriles » de l’époque. Ces formations d’instruments à vent officiaient essentiellement dans les églises dépourvues d’orgue. Elles puisaient leur répertoire dans les pièces musicales aussi bien populaires que sacrées : Villancicos, Romances, Danzas, Glosas… et ces fameuses Ensaladas qui mêlaient toutes les langues latines, et musiques instrumentales.

L’épisode des Tréteaux de Maître Pierre avec l’image des marionnettes projetées.

Au centre la marionnette de Don Quichotte – Photo Classictoulouse –

Le mythe de Don Quichotte constitue ainsi le lien idéal entre ces pièces savoureuses, utilisées ici comme commentaires des aventures du Chevalier à la triste figure. S’associant à la joyeuse troupe de marionnettistes animée par Isabelle Monier-Esquis, les musiciens accompagnent ainsi quelques-uns des épisodes picaresques imaginés par Cervantes. La cohérence qui s’établit entre les aspects visuels et musicaux frappe immédiatement. Les premières images qui apparaissent sur les Villancicos initiaux (Una sañosa porfia, de Juan del Encina, Donde se sufre, d’un anonyme, et Canto del Cavallero d’Antonio de Cabezón) illustrent une naissance agitée de la marionnette représentant Don Quichotte. Une pièce métallique (un boulon ?) tombe sur la scène depuis les cintres, suivie de la marionnette elle-même, comme précipitée depuis le ciel. Etonnante de poésie et de finesse, cette marionnette à taille humaine, faite de dentelle de métal, est constituée d’éléments d’instruments de musique, notamment d’un pavillon de sacqueboute. Le lien avec la musique est tissé et il fructifie tout au long du spectacle. Les instrumentistes participent d’ailleurs eux-mêmes à l’action, et pas seulement pour la commenter de leur musique.

Les deux soliste vocaux, Pierre-Yves Binard et Adriana Fernandez, entourant la marionnette de Don Quichotte – Photo Classictoulouse –

Deux épisodes frappent particulièrement. Les moulins à vent du fameux combat, astucieusement constitués de morceaux d’instruments de musique, sont filmés de très près par une caméra miniature qui en transmet les images projetées sur grand écran. Le spectateur observe alors les immenses structures que croit voir l’œil de Don Quichotte. Quant à l’épisode final des « Tréteaux de Maître Pierre », celui-là même que Manuel de Falla a par ailleurs brillamment mis en musique au début du XX° siècle, il témoigne ici d’une imagination fertile pour mettre en œuvre le principe ingénieux du « théâtre dans le théâtre ». La bataille contre les Maures devient à la fois impressionnante et pleine d’humour.

Les musiques qui accompagnent, ou plutôt qui animent, ces aventures sont sélectionnées à partir des recueils de chansons de la Renaissance espagnole, les fameux « Cancioneros » connus sous les noms de Palacio (XV°/XVI°), Medinacelli (XVI°), La Colombina (XVI°), Uppsala (XVI°), El Libro de la Croce (XV°), Lope de Vega (XVI°)… Brillamment reconstituées et jouées par Les Sacqueboutiers, ces courtes pièces renforcent encore l’impact des aventures de l’« Ingenioso Hidalgo ». La finesse de l’instrumentation, la virtuosité des musiciens, la richesse des timbres font merveille. Aux côtés du cornet à bouquin volubile de Jean-Pierre Canihac, on retrouve avec plaisir la sacqueboute agile et bien timbrée de Daniel Lassalle, la chalemie ardente d’Alfredo Bernardini, le basson (ou doulcène) goguenard de Laurent Le Chenadec. Le continuo revient à l’élégance de Yasuko Uyama-Bouvard à l’orgue positif et à Eduardo Ergüez, subtile guitare baroque. Enfin, la percussion, si fondamentalement nécessaire ici, elle doit beaucoup à la ferveur rythmique de Florent Tisseyre qui tire le meilleur des « outils » les plus simples, comme ce « cajon » qui accompagne la guitare dans l’éblouissante « Jacaras ».

L’ensemble des participants au salut final – Photo Classictoulouse –

Julien Geskoff, le metteur en scène du spectacle, tient également avec esprit le rôle central du récitant qui dit le texte de Cervantes. Enfin, les deux voix solistes se partagent les chants aussi raffinés qu’expressifs. Le baryton Pierre-Yves Binard, aussi excellent diseur que chanteur, partage la scène avec la soprano argentine Adriana Fernandez, compagne fidèle des Sacqueboutiers, dont on ne se lasse pas d’admirer la grâce vocale, le sourire qui passe dans le timbre lumineux. Son dialogue avec la guitare dans la touchante Romance de Don Gaïferos constitue l’un des moments magiques de la soirée.

Félicitons également les habiles manipulateurs des marionnettes dont la présence visible, sans fausse illusion, contribue à l’animation du spectacle. Le brillant (et bruyant !) succès de la représentation entraîne une reprise par tous les participants de la Chacona finale, sorte d’hymne fervent à cette riche période et à sa résurrection actuelle.

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