Le Festival « Toulouse les Orgues » offrait, en ouverture, un étonnant spectacle sous forme d’oratorio chorégraphique pour huit danseurs, dix chanteurs et orgue à quatre mains.
Le ballet sur le « Stabat Mater » de Palestrina
(Photo Jean-Jacques Ader)
Un immense rideau blanc drapé sous le magnifique orgue en nid d’hirondelle, une scène étincelante de blancheur également, et voici la Cathédrale Saint Etienne transformée en théâtre d’un Mystère contemporain. Contemporain et médiéval à la fois par le thème, la musique et la chorégraphie, autour de la figure d’une femme : Marie, autour d’un moment de sa vie : sa Passion. Mêlant art sacré et art profane, musique, chant et danse, ce spectacle que l’on pourrait qualifier d’opéra en trois actes, scandé par un prologue et des interludes, nous donne à voir un étonnant mélange des genres. S’ouvrant sur le « Beata viscera » de Pérotin le Grand, interprété a cappella par l’ensemble vocal des Jeunes Solistes que dirige Rachid Safir, ce moment permet une mise en situation, pourrait-on dire, du spectateur, qui écoute ces voix remarquables qui s’élèvent des profondeurs de l’église et levant les yeux contemple la dentelle que découpent dans la nef de subtils jeux de lumière. Le « Postlude pour l’office de complies » de Jehan Alain fait résonner les orgues en une longue songerie mi-berceuse, mi- plainte, avant que ne s’ouvre réellement le premier acte de cet oratorio chorégraphique. Sur le « Stabat Mater » de Palestrina les danseurs de la Compagnie « Chantier », vont, par une suite de portés, d’enroulements, entourer la Vierge, Marie-Agnès Gilot, danseuse étoile de l‘Opéra de Paris, qui danse sa douleur de mère, par de longs abandons, des sursauts qui plaquent au sol son entourage. Cette chorégraphie très contemporaine illustre cette douleur exacerbée par la vision du supplice, par des mouvements parfois très symétriques, parfois déstructurés, où le jeu des bras et des mains prend un relief particulier.
Illustration des « Vertiges de la Croix » de Thierry Escaich (Photo Jean-Jacques Ader)
Suit un moment vocal très particulier, œuvre très contemporaine de Scelsi, où les voix font résonner des sons proches parfois d’ululements, onomatopées syncopées qui donnent un ensemble des plus étranges, et dont la difficulté d’interprétation laisse pantois et désorientés les auditeurs que nous sommes.
L’orgue reprend alors, sur le « Récit » de Thierry Escaich, grand organiste contemporain, d’une lenteur incantatoire, jusqu’au crescendo final. Le deuxième acte peut commencer, sur le « Miserere » d’Allegri. Chanteurs et danseurs occupent ensemble la scène, dont le rideau de fond s’anime d’une projection où se devinent confusément des bribes de tableau. La somptueuse interprétation vocale de ce morceau, écrit pour la Chapelle Sixtine, éclipse un tant soit peu une chorégraphie toute en sinuosité, techniquement élaborée, répétitive et faisant toujours la part belle aux mouvements des bras et des mains qui semblent intérioriser la douleur, la ramenant inlassablement vers le corps, mais où ne transparaît plus cette émotion de la première pièce. Le dernier acte de cette passion sera dansé sur une nouvelle composition de Thierry Escaich « Vertiges de la Croix », inspirée du tableau de Rubens, « La Descente de Croix ». D’où cette immense draperie blanche qui habille la scène, comme le linceul qui porte le corps du Christ dans le tableau. La musique somptueuse emplit alors la cathédrale toute entière. Quant à la chorégraphie elle devient tout à coup extrêmement hermétique. Que signifient ces corolles qui s’illuminent lorsque les danseuses les abandonnent ? Ces danseurs qui ôtent leur veste s’apparentent-ils au Dépouillement du Christ ? Dans les ensembles parfaitement synchrones, la haute silhouette de Marie-Agnès s’impose par une fluidité, une assurance dans les équilibres qui sont la marque de cette grande maison qu’est l’Opéra de Paris.
Spectacle étrange, animé par la somptuosité vocale de l’Ensemble Vocal « Les Jeunes Solistes » dont la qualité musicale fut l’une des révélations, à notre sens, de la soirée ; par l’interprétation sensible et brillante des deux organistes Mathias Lecomte et Jean-Baptiste Monnot ; par enfin cette chorégraphie faite de recherche, d’investigation, et qui peut-être pour cela même, nous déroute, voilà ce qui dépeint cette première soirée du festival Toulouse Les Orgues.