« Passe ton Bach d’abord », improvisations et résurrection
La 17ème édition de Passe ton Bach d’abord, intitulée « À l’Improviste ! » vient de s’achever sur une triomphale présentation d’une troisième Passion que la plupart des auditeurs ont eu le bonheur de découvrir. Du vendredi 06 au dimanche 08 juin, le festival Passe ton Bach d’abord a programmé une édition 2025 tout en invention artistique liée à la musique du père de la musique occidentale.
En forme de promenade dans le patrimoine toulousain, au cœur de lieux parfois insolites, tous les curieux ont été invités à partager une nouvelle aventure avec l’œuvre monumentale du compositeur baroque et avec toutes ses déclinaisons possibles.
Le thème de cette nouvelle édition a souhaité souligner le rôle important de l’improvisation dans la création musicale. Bien entendu, en musicien de son temps, Bach pratiquait l’improvisation. Sans doute s’y montrait-il excellent puisque certains ont pu dire qu’en perdant ses improvisations, on perdait la plus belle part de sa musique ! L’édition 2025 a donc vu l’improvisation se glisser ouvertement ou subrepticement dans de nombreux programmes.
Autour du luth
Parmi la trentaine de rencontres proposées, deux concerts ont célébré l’instrument à cordes pincées pour lequel les interprètes n’ont pas hésité à transcrire des pièces de Bach et d’autres compositeurs. Le 7 juin à 15h en l’église Saint-Pierre des Chartreux, le luthiste Diego Salamanca, par ailleurs membre de l’Ensemble Baroque de Toulouse, a dévoilé trois extraits de son projet autour des œuvres du cantor. Il s’est agi de trois pièces de Bach transcrites pour le luth, originalement composées pour trois instruments différents. Il a commencé par le Prélude de la brillante adaptation par Bach lui-même de sa 5ème suite pour violoncelle seul. Le Prélude et Fugue qui a suivi trouvait son origine dans la Partita en do mineur pour clavier. Enfin, la Fugue de la 1ère Sonate pour violon seul a complété cette exploration originale. On a pu admirer la dextérité de l’interprète, le bel équilibre des différents registres de son jeu et son sens de la construction de chaque œuvre comme édifice musical.

A 18h en l’église du Gesù, le flûtiste Thierry Cazals a rejoint le luthiste Frédéric Bernard pour un duo particulièrement original. Le premier a successivement joué de quatre flûtes différentes, du traverso baroque à l’impressionnante flûte basse. Quant à son complice, il est passé du luth baroque à la guitare. Les deux musiciens ont enchaîné une série d’improvisations d’une impressionnante inventivité. Partant d’un Prélude en duo (pour traverso et luth) de Silvius Leopold Weiss, ils n’ont pas hésité à citer Chopin, inspiré par Bach, puis Debussy, lui-même inspiré par Chopin, avec une brève incursion dans le style brésilien de la « bossa nova » … L’imagination au pouvoir !

La Passion selon Saint-Marc : la recréation
Une Halle aux Grains bien remplie a accueilli l’apothéose de ce 17ème festival. En cette fin d’après-midi du 8 juin, l’exécution d’une troisième Passion de Jean-Sébastien Bach a mobilisé l’Orchestre, le Chœur de l’Ensemble Baroque de Toulouse et six chanteurs solistes, tous placés sous la direction passionnée de Michel Brun. Il s’agissait de recréer une partition que l’on croyait définitivement perdue.

– Photo Classictoulouse –
Cette exécution attendue est précédée ce même jour d’un « Atelier clefs d’écoute autour de la Passion » brillamment mené par Michel Brun. Dans sa présentation animée et illustrée d’exemples, nous apprenons ainsi le déroulement d’une véritable enquête policière dans la recherche d’une partition mythique et mystérieuse. Comme l’indique sa notice nécrologique, Bach aurait composé cinq Passions. Seules deux d’entre elles nous sont parvenues, celles sur les évangiles de Saint-Jean et de Saint-Matthieu. Miraculeusement, un livret de la Passion selon Saint-Marc a été retrouvé à Saint-Pétersbourg. Les airs et les grands chœurs provenant d’autres œuvres de la main même de Bach ayant été identifiés, seuls les récitatifs du livret retrouvé ont dû être « recomposés » par l’organiste et musicologue Freddy Eichelberger qui a ainsi pu reconstituer l’ensemble de la partition. En outre, c’est lui qui tient ce soir-là le clavecin du continuo. Précisons que cette exécution est surtitrée pour permettre à chacun de suivre le déroulement de cet événement à la fois théâtral et sacré.
C’est donc bien cette version que nous admirons lors de ce concert conclusif. Dès le choral d’ouverture, l’esprit de Bach se manifeste. Cet immense puzzle musical fonctionne parfaitement comme une œuvre authentique. L’ensemble des interprètes, musiciens, chœur, solistes participent à cette célébration avec une ferveur touchante.

– Photo Classictoulouse –
A commencer par le rôle essentiel de l’Evangéliste, tenu avec intelligence et sensibilité par Vincent Lièvre-Picard dont on connaît bien les grandes qualités vocales autant qu’expressives. Il ponctue cette marche tragique du Christ vers la mort de ses interventions chargées d’émotion.
Les autres chanteurs solistes apportent leur engagement sans faille aux arias, aux échanges, aux scènes dramatiques évoquées dans ce théâtre sacré. Le Christ au timbre profond de la basse Vincent Le Texier dialogue avec les divers personnages (dont Pierre et Pilate) incarnés avec finesse et nuances par l’autre basse Pierre-Yves Cras. La lumineuse soprano Clémence Gracia partage avec l’alto expressive Caroline Champy Tursun les interventions féminines parfois stratégiques, toujours sensibles. Enfin le ténor François-Nicolas Geslot décline avec art et virtuosité les rares arias réservées à sa tessiture.

Les échanges entre voix solistes et instruments atteignent leur apogée dans un sublime dialogue entre deux duos. Celui formé par la soprano Clémence Garcia et la basse Pierre-Yves Cras, d’une part, et celui qui réunit le hautbois de Xavier Miquel et le basson de Laurent Le Chenadec, d’autre part. Un grand moment de musique et d’émotion !

Le chœur, quant à lui, remplit avec conviction son rôle multiple alternant scènes dramatiques et choral. A cet égard, on reconnaît au passage la reprise du célèbre choral « O Haupt voll Blut und Wunden » de la Passion selon Saint-Matthieu.
Le choral final referme cette belle résurrection dont il faut remercier l’auteur minutieux Freddy Eichelberger et l’artisan infatigable Michel Brun. L’ovation chaleureuse qui accueille cette exceptionnelle prestation témoigne à l’évidence de son impact sur un public conquis par l’originalité et la grandeur de la démarche.

Comme à son habitude, Michel Brun n’a pas manqué de remercier tous les acteurs de cet événement, des musiciens et chanteurs aux bénévoles dont l’action s’avère d’autant plus indispensables étant données les difficultés actuelles de financement.
Le 17ème festival Passe ton Bach d’abord s’achève. Vive le 18ème…
Serge Chauzy