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Nicholas Angelich, du grand piano

Les grands noms du clavier se succèdent dans le légendaire cloître des Jacobins qui héberge la 40ème édition du prestigieux festival international. Avec le retour du plus français des pianistes américains, son niveau artistique flirte avec les cimes. Né aux Etats-Unis, formé en grande partie en France, Nicholas Angelich mène une carrière d’une impressionnante authenticité. Ses splendides contributions discographiques comme ses apparitions assez régulières à Toulouse confortent à chaque fois l’impression que ce musicien précieux trace son sillon avec sérieux et profondeur.
Pour cette nouvelle intervention dans la salle capitulaire des Jacobins, Nicholas Angelich a imaginé un programme original et astucieux qui associe deux compositeurs aux styles très différents, Sergueï Prokofiev et Johannes Brahms, mais dont les œuvres abordées ici possèdent en commun une forme musicale fragmentée, un peu à la manière d’un puzzle.

C’est bien le cas des Visions fugitives, de Prokofiev, qui ouvrent la soirée sur cette œuvre rare au concert, complexe et si suggestive. Cet opus 22 n’est en effet que très peu joué dans son intégralité. La plupart des interprètes « butine » suivant leur humeur dans cette riche moisson d’émotions.

Ce cycle de vingt pièces brèves, composé entre 1915 et 1917, trouve son inspiration dans deux vers du poète russe symboliste Constantin Balmont : « Dans chaque vision fugitive je vois des mondes / Pleins de jeux changeants et irisés. » Comme l’écrit le compagnon d’études de Prokofiev, Nikolaï Miaskovsky, cette succession d’états d’âme du compositeur évoque « Un inventaire psychique de ses émotions intimes ».

Nicholas Angelich – Photo Classictoulouse –

Nicholas Angelich aborde la première pièce, notée Lentement, comme un prologue mystérieux et énigmatique. Le même climat étrange imprègne la deuxième. Suit alors une succession d’évocations contrastées, parfois douces et rêveuses, parfois ironiques avec un zeste de tendresse… L’interprète déploie ici une impressionnante variété de touchers, une imagination de chaque instant. Son mode d’expression couvre une gamme infinie de nuances, une large palette de couleurs comme s’il s’agissait d’images ou de tableaux miniatures d’un peintre inspiré. Une énergie constante imprègne l’ensemble sans jamais sombrer dans la violence.

Avec les 10 pièces pour piano opus 75, du même Prokofiev, transcrites par le compositeur lui-même de son ballet Roméo et Juliette , le propos est tout autre. Le ballet, fondé sur la pièce éponyme de William Shakespeare, fut composé en 1935, peu après le retour du compositeur en Union soviétique. Sa création eut lieu en Tchécoslovaquie, en 1938, loin du pouvoir culturel et politique soviétique défavorable au sujet. Le compositeur en tira deux suites symphoniques la même année, puis une troisième en 1944. Réalisée également par Prokofiev, la suite pour piano rassemble dix numéros d’une beauté et d’une intensité dramatique extrêmes. L’interprète en exalte la substance tragique de l’intrigue. S’il n’essaie pas d’« imiter » l’orchestre original (il s’agit bien ici d’une œuvre pour piano) les couleurs les plus contrastées émanent de son jeu. La mort programmée voisine avec la grâce des épisodes évoquant Juliette. Le final Roméo et Juliette avant la séparation revêt ici une intensité bouleversante.

La seconde partie de la soirée ménage un contraste saisissant. Nicholas Angelich investit son impeccable technique, sa musicalité et sa conviction dans les Variations et fugue sur un thème de Haendel, de Johannes Brahms. Ce compositeur semble réunir toutes les caractéristiques qui correspondent aux qualités fondamentales du jeu de son interprète. Intensité d’un toucher de poids et pourtant sans lourdeur, clarté lumineuse de la polyphonie, équilibre quasi-parfait des deux mains. Mais, et peut-être surtout, une imagination qui lui permet de bénéficier ici aussi d’une palette de couleurs sans limite. Les 25 variations qui se succèdent explorent tout l‘éventail des expressions possibles. Le pianiste expose le thème original avec la richesse de l’ornementation qui le relie à la période baroque. Dans le déroulement général, la dentelle subtile de certaines variations succède ou précède la tempête, ou parfois la jubilation. La fugue finale résonne comme un monument. Nicholas Angelich, tel un maître-architecte, y construit un édifice d’une impressionnante grandeur. De la très belle ouvrage, amplement ovationnée par le public fasciné !

Il ne faut pas moins de trois bis pour calmer l’enthousiasme. Deux pièces de Chopin, une Mazurka et une Valse (la fameuse en ré bémol majeur op. 64 n°1, dite Du petit chien) précèdent la première des Scènes d’enfants (Kinderszenen), de Robert Schumann. La douceur et la grâce referment ce voyage en pays conquis.

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