L’un des multiples intérêts des tableau-concerts organisés par Piano aux Jacobins au musée d’art moderne Les Abattoirs réside dans le choix des programmes. Le lieu suscite l’imagination de l’interprète, l’incite à l’audace. Les artistes invités y déploient ainsi sans contrainte l’originalité de leurs aspirations. Le 28 septembre, le tout dernier récital de l’édition 2010 du festival était confié au jeune et talentueux Romain Descharmes, dont les Toulousains ont déjà admiré le rayonnement et l’intensité du jeu.
Le pianiste français Romain Descharmes lors de son récital du 28 septembre 2010 au musée Les Abattoirs (Photo Classictoulouse)
La présentation des œuvres par l’interprète constitue un autre attrait important de ces manifestations. Romain Descharmes possède ce talent de communicateur fait de simplicité et de finesse. Il ouvre ainsi le concert avec une transcription de l’ouverture « Les Hébrides » ou « La Grotte de Fingal » de Felix Mendelssohn. On apprend ainsi que le tout jeune pianiste a réalisé lui-même cette transcription comme exercice au cours de ses études académiques et que cette exécution du 28 septembre représente une grande première publique ! Cette réalisation et son interprétation évoquent irrésistiblement l’orchestre. Les couleurs, le rythme, ce mouvement de houle marine qui évoque une large respiration, tout concourt à animer le discours.
Romain Descharmes se lance ensuite dans la réhabilitation d’un compositeur bien oublié aujourd’hui, et seulement connu pour ses écrits théoriques et autres traités sur la musique, Théodore Dubois, trop succinctement classé parmi les « académiques ». Sa sonate en la mineur, ainsi interprétée, dévoile une énergie, une invention mélodique et rythmique qui n’évoquent en rien l’austérité du rédacteur de ses traités à l’usage des élèves musiciens. Certes, la coupe en trois mouvements respecte les canons classiques et la tonalité reste la base de cette composition datée de 1907-1908. Les transitions y prennent une importance capitale, comme cette sorte de récitatif à la Beethoven qui lie le mouvement central Andante au brillant final.
Enfin, l’unique Sonate d’Henri Dutilleux conclut ce voyage original sur l’œuvre de jeunesse (cet opus 1 date de 1946-1948) d’un compositeur qui continue de nos jours, à quatre-vingt quatorze ans, à inventer des musiques d’une fascinante beauté. L’écriture très riche, aussi bien sur le plan rythmique que mélodique, permet à l’interprète de briller. La complexité de l’écriture traduit une agitation fébrile, en particulier dans les mouvements extrêmes, l’Allegro con moto initial et le vaste Choral final. Le raffinement presque pointilliste du Lied central semble annoncer ce que sera le style plus affirmé, plus nettement hérité de Debussy, de la musique ultérieure de Dutilleux. L’interprète porte l’œuvre avec une énergie et une densité sonore admirables.
Domenico Bianchi : Sans titre, 1990
Les Abattoirs, Toulouse
Deux bis prolongent stratégiquement la soirée. L’une des fameuses et truculentes Pièces pittoresques d’Emmanuel Chabrier et un extrait des poétiques Kinderszenen (Scènes d’enfants) de Schumann, bicentenaire oblige, complètent ce beau programme hors norme.
Notons que le tableau placé au côté du pianiste comme en miroir avec le programme musical n’est autre que l’étrange fresque de cire sur fibre de verre (Sans titre, 1990) du plasticien italien Domenico Bianchi. Un subtil camaïeu de beige rosé dont les couches successives structurent les ombres et les lumières.