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Malgré les cœurs meurtris, the show must go on…

En cette soirée de clôture de l’édition 2017 du Festival Castell de Peralada, les pensées étaient tournées vers la capitale catalane, frappée en plein cœur par le terrorisme quelques heures auparavant. C’est d’ailleurs le directeur général de cette manifestation, Oriol Aguila qui, aux côtés de Carlos Acosta et devant le rideau, s’adressa au public, trouvant les mots de compassion et de solidarité qui conviennent le mieux à ce moment-là. Ils furent suivis d’une minute de silence d’une profonde douleur. Comment aurait-il pu en être autrement ? Mais la première victoire contre ces assassins des temps modernes est de continuer à vivre, autrement certes, mais vivre toujours. Libre.
La Compagnie cubaine Acosta Danza fait ce soir-là ses débuts dans ce festival habitué à recevoir les plus grands. Cette année le Ballet Béjart Lausanne ouvrait les festivités et l’on se souvient encore et pour longtemps de la soirée Roberto Bolle and Friends de l’an passé.

Créée l’an passé, Acosta Danza se veut une vitrine de la danse cubaine en même temps qu’une école de formation au plus haut niveau. Cette jeune compagnie se présente avec un programme varié comprenant sept chorégraphies. A l’image de son répertoire, Acosta Danza nous fait découvrir toute une diversité d’un univers ici ancré dans notre temps.

El cruce sobre el Niagara : Raùl Reinoso et Julio León – Photo Tito Ferrer –

La soirée débute avec El cruce sobre el Niagara. Sur une musique d’Olivier Messiaen, celle que l’on peut clairement nommer leader de la modernité en matière de danse hispano-américaine : Marianela Boan, chorégraphie en duo masculin d’une intensité bouleversante. Réclamant une souplesse en même temps qu’une force incroyables, avec des équilibres au ralenti vertigineux, cette pièce met en présence Raul Reinoso et Julio Léon. Par l’exceptionnelle puissance que dégagent ces deux danseurs à la présence très sculpturale, par l’intense et ambigüe sensualité qui émane de leur corps à corps, ce ballet, créé en 1987, restera l’acmé de la soirée.

Beaucoup de balletomanes se souviennent certainement de l’une de ses dernières apparitions au Palais Garnier, alors qu’il est encore Etoile du Royal Ballet de Londres, dans un légendaire Spartacus, Carlos Acosta, fondateur et directeur de cette Compagnie, s’est réservé deux solos. Le premier, Memorie, fut écrit à son intention par Miguel Altunaga en 2011 sur une musique électronique du mexicain Murcof. Le second, Two, est plus ancien puisque Russel Maliphant l’écrivit pour Dana Fouras en 1998. Cette pièce fut ensuite reprise par Sylvie Guillem, toujours sur la musique d’Andy Cowton. Il n’est rien de dire combien ce danseur d’exception a su conserver cette puissance physique et cette maîtrise absolue de l’espace qui furent l’apanage de ses prestations les plus célèbres.

Faun : Zeleidy Crespo et Carlos Luis Blanco – Photo Tito Ferrer –

La première partie se conclut sur le Faun de Sidi Larbi Cherkaoui. Créé en 2009 sur commande du Sadler’s Wells pour commémorer le centenaire de la fondation des Ballets russes de Serge Diaghilev, ce duo entre un faune et une nymphe, immortalisé par Nijinski, se danse cette fois sur une habile compilation du poème symphonique de Claude Debussy conjugué à des partitions originales du compositeur indien Nitin Sawhney. Zeleidy Crespo et Carlos Luis Blanco nous délivrent cette vision sauvage, panthéiste, naturaliste, sensuelle bien sûr, de ces amours mythologiques avec une puissance expressive hors du commun alliant l’insouciance d’un Eden à une tension sexuelle constante. Troublant, pour le moins….

La seconde partie débute avec le End of Time du Britannique Ben Stevenson. Ecrit en 1984 sur une musique de Serguei Rachmaninov (troisième mouvement de la Sonate en sol mineur), ce « pas de deux » nous met en présence des deux derniers habitants de notre planète, une femme et un homme, ici Liliana Menendez et Enrique Corrales. C’est le ballet le plus « classique » de la soirée, sorte de long baiser avant l’éternité, une romance d’une infinie poésie que ces deux interprètes portent à l’incandescence grâce à leur extrême musicalité et à la splendide fluidité de leurs gestes. La soirée se poursuit avec Anadromous, un ballet créé en 2016 et signé du chorégraphe/danseur Raul Reinoso que nous avons pu admirer en lever de rideau. Sur des musiques de Yann Tiersen (Esther) et Ezio Bosso (extrait de Rain, in your black eyes), Laura Treto et Raul Reinoso dansent ce qui peut être le cycle naturel de la vie dans une grammaire chorégraphique rendant hommage au grand style classique mais incluant des termes du langage contemporain.

End of Time : Liliana Menendez et Enrique Corrales – Photo Tito Ferrer –

Le programme se termine sur un ballet de Goyo Montero créé en 2006 sur…. des paroles signées Joaquin Sabina et Vinicius de Moraes, la musique propre à ces textes servant de rythme aux 10 danseurs conviés pour cette clôture. Alrededor no hay nada n’est certainement pas la pièce de la soirée la plus facile à cerner même si l’on comprend qu’il est question de création du monde et que samedi est un grand jour car il précède le dimanche. Cela dit, ce ballet a le mérite de nous montrer une partie de cette compagnie formatée en cinq couples totalement déchaînés. Une œuvre singulière.

Voilà, la soirée, malgré les événements, se termine avec de nombreux rappels, mais point de bis…

Le festival 2017 a été un grand cru, incontestablement, avec d’immenses artistes venus du monde entier. Le public va croissant d’année en année. Superbement dirigé, il s’inscrit définitivement comme l’un des rendez-vous artistiques les plus attractifs d’Europe du Sud.

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