Le 8 septembre dernier, la 42ème édition du Festival International Piano aux Jacobins sonnait enfin la reprise de la vie musicale toulousaine et du contact direct avec le public. Cette nouvelle édition soutient ardemment la participation de la nouvelle vague du piano. Au cours de cette session, les jeunes artistes se succèderont majoritairement dans la salle capitulaire du cloître emblématique. L’ouverture de l’événement a permis de retrouver une pianiste qui a déjà marqué de sa forte personnalité le déroulement de ces rencontres musicales. Simone Dinnerstein a brillamment illustré la passionnante spécificité de son talent.
La jeune et déjà grande pianiste américaine n’a pu cacher son émotion de se retrouver dans ce lieu mythique, alors qu’elle avoue ne donner ce soir-là que son deuxième récital public depuis le début de la pandémie !
Présentant un programme particulièrement original et soigneusement réfléchi, Simone Dinnerstein le parcourt de la plus musicale des façons. La lecture a priori de la liste des œuvres abordées peut laisser croire qu’il s’agit là d’un choix hétéroclite destiné à montrer la capacité de l’interprète à s’adapter à tous les styles. Comment faire cohabiter François Couperin, Robert Schumann, Erik Satie avec Phil Glass ? Au fur et à mesure du déroulement du concert, la pianiste trace un itinéraire musical à la fois personnel et d’une unité, d’une vérité musicale surprenantes d’authenticité.
Simone Dinnerstein aux Jacobins – Photo Classictoulouse –
Alors que la première partie de la soirée s’ouvre et se referme sur une pièce de François Couperin (Les Barricades mystérieuses, puis Tic Toc Choc), l’interprète s’attache à enchaîner les partitions sans laisser le moindre espace entre elles. Bien sûr, le choix des tonalités permet cette proximité temporelle. Mais surtout chaque transition découle d’une logique musicale qui évoque une simple évolution du paysage le long de la route choisie. A la gravité magique des Barricades mystérieuses de Couperin succède la lumière mais aussi la douleur de l’Arabesque en ut majeur de Schumann. Et finalement, l’enchaînement de cette dernière avec la pièce intitulée Mad Rush (Précipitation folle) du compositeur minimaliste américain Phil Glass s’effectue de manière logique et naturelle, malgré la succession des vibrations tour à tour violentes ou angoissées qui animent l’œuvre. En fait on se rend compte que la pianiste fait de cette vaste partition, la plus récente du programme, le centre de gravité de cette première partie.
Après un court entracte, les deux pièces de la seconde partie semblent coexister pour s’opposer. La Gnossienne n° 3 d’Erik Satie déroule sa gravité, sa lenteur méditative comme pour introduire l’agitation fébrile, les contrastes expressifs, la folie digitale des fameuses Kreisleriana de Robert Schumann. Les huit parties qui composent cette partition explosive et d’une redoutable difficulté technique datent de 1838, alors que le compositeur était âgé de 28 ans et courtisait avec passion celle qui sera sa femme, Clara Wieck. Les oppositions de caractère de ces épisodes alternativement intimes et agités, méditatifs et révoltés, réclament de l’interprète un sens des oppositions mais aussi de la continuité du discours. Simone Dinnerstein se lance dans ce défi avec une fougue impressionnante et néanmoins un contrôle de chaque détail. Un grand vent de liberté et d’imagination souffle sur son interprétation mémorable.
Comme on peut l’imaginer, l’accueil enthousiaste du public la pousse à offrir un bis après une telle démonstration qui ne pouvait se conclure sur une pièce virtuose de plus ! Avec l’intelligence et la sensibilité qui la caractérise, la pianiste choisit de boucler la boucle avec le retour vers Les Barricades mystérieuses de François Couperin qui avait ouvert cette belle soirée. Grâce lui en soit rendue !