Festivals

L’ouverture céleste

Pouvait-on rêver d’une ouverture de festival plus solennelle ? Difficile à imaginer. Le 7 octobre, en co-production avec Odyssud-Blagnac, la 20ème édition de Toulouse les Orgues inaugurait la multitude de ses manifestations sur un programme musical rarissime et fédérateur des forces musicales de la région. La foule des spectateurs intéressés qui envahit ce soir-là la cathédrale Saint-Etienne jusqu’aux limites de ses capacités d’accueil témoigne de la réussite de l’entreprise.
Yves Rechsteiner, qui préside aux destinées du festival, avait choisi de confier l’organisation de ce concert à deux ensembles instrumentaux spécialisés dans le répertoire baroque, Les Passions/Orchestre Baroque de Montauban et Les Sacqueboutiers, ensemble de cuivres anciens de Toulouse, ainsi qu’à une réunion de quelques grands chœurs de la région, l’ensemble Scandicus, le Chœur de Jeunes du Conservatoire du Tarn et le chœur d’enfants et de jeunes Les Eclats. Sous la direction de François Terrieux, ce rassemblement de forces musicales motivées avait décidé de « s’attaquer » à un monument de l’art baroque, la Missa Salisburgensis du compositeur et violoniste austro-tchèque Heinrich Ignaz Franz von Biber, une partition probablement conçue pour la célébration en 1682 du 11ème centenaire de la fondation de l’archevêché de Salzbourg. Ecrite à 53 voix, instrumentales et vocales, elle représente ainsi l’un des sommets de la musique polyphonique baroque, dépassant en complexité contrapuntique et en richesse acoustique le fameux motet à 40 voix Spem in alium, du compositeur anglais Thomas Tallis. Composée pour un ensemble de huit « chœurs » (voix et instruments), la Missa est traditionnellement accompagnée de « sonate », au sens italien du terme, et d’un motet de la même veine, pièces également composées par Biber.

L’ensemble de cuivres anciens, Les Sacqueboutiers, dirigé par Jean-Pierre Canihac, interprète la Sonata Sancti Polycarpi – Photo Classictoulouse –

Ce 7 octobre, en la cathédrale Saint-Etienne de Toulouse, cet ensemble monumental est précédé d’un hors-d’œuvre alléchant. L’une des Fantaisies pour orgue de Johann Jakob Froberger, un contemporain de Biber, est jouée par Michel Bouvard sur la console du magnifique instrument signé Alfred Kern qui l’a restauré en employant une partie du matériel ancien dû à Antoine Lefèbvre et Aristide Cavaillé-Coll. Finesse et esprit animent ces belles variations jouées avec élégance sur l’orgue récemment rénové.

Les deux « sonate » qui introduisent la Missa sont dévolues aux deux ensembles instrumentaux. Les Sacqueboutiers ouvrent le ban avec la Sonata Sancti Polycarpi à 9. Une débauche de cuivres illumine toute la cathédrale. Dirigé par Jean-Pierre Canihac, un impressionnant aréopage de huit trompettes naturelles, sacqueboute, percussions et continuo sonnent avec un éclat, une précision qui n’obèrent rien de la finesse d’écriture. La Sonata : Battaglia à 10 réunit, quant à elle, les cordes de l’orchestre Les Passions, sous la direction de Jean-Marc Andrieu. Cette évocation belliqueuse emprunte des voies inattendues. Outre les appels au jeu col legno (attaque de la corde avec le bois de l’archet), le passage central organise une dérive délibérément fausse qui évoque les recherches d’un Jean-Féry Rebel dans l’illustration du chaos.

L’orchestre Les Passions, dirigé par Jean-Marc Andrieu dans la Sonata : Battaglia

– Photo Classictoulouse –

Pour l’exécution de la Messe de Salzbourg, la foule des choristes et des solistes vient se joindre aux deux ensembles instrumentaux au sein desquels Jean-Marc Andrieu et Jean-Pierre Canihac retrouvent leur instrument respectif, la flûte à bec et le cornetto. La masse chorale ainsi réunie s’interpose entre l’essentiel du dispositif orchestral et les cuivres. Les petits chœurs de solistes sont disposés dans les stalles de part et d’autre de la tribune centrale. François Terrieux dirige l’ensemble avec une précision et un enthousiasme qui galvanisent les interprètes. Un tel effectif choral et instrumental impressionne tout d’abord par son volume. Outre un opulent groupe de cordes, il est rare de voir s’ajouter aux deux cornettos et trois sacqueboutes, aux flûtes, hautbois et bassons, à l’orgue du continuo (tenu ici par Yasuko Bouvard), pas moins de dix trompettes baroques, dont deux clarinos aux registres aigus. Néanmoins, rien de massif dans la sonorité globale. La qualité de la cohésion et la spécificité des sonorités de chaque pupitre permettent à tout instant de suivre distinctement chaque élément de cette polyphonie riche de sa complexité, comme une dentelle sonore. Entre les éclats solennels des épisodes flamboyants, comme ceux du Kyrie et du Gloria, s’intercalent d’évanescentes plages de douceur ou d’émotion comme celles de l’Incarnatus est et de l’Agnus Dei.

L’ensemble des chœurs et de l’orchestre lors de l’exécution de la Missa Salisburgensis

– Photo Classictoulouse –

En outre les effets d’écho se trouvent renforcés par la localisation « stéréophonique » des deux chœurs de solistes qui se répondent et dialoguent avec le tutti. Toute l’architecture de la Messe, tel un édifice spirituel, s’en trouve soulignée grâce à la clarté de la direction de François Terrieux.

Le motet Plaudite tympana (Frappez vos tambours, Faites retentir vos trompettes), qui complète l’ordinaire de la Messe, porte bien son nom. Les cuivres et les percussions lui confèrent un lustre, une rutilance inouïe. Cette pièce pleine de joie doit d’ailleurs être rejouée afin de répondre à l’accueil enthousiaste du public qui témoigne ainsi du plaisir apporté par un tel déploiement de grandeur et de beauté.

Quelle belle ouverture pour le festival qui va animer toute la ville et sa région !

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