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L’orgue de Liszt

Une foule considérable envahit la nef de la basilique Saint-Sernin, le 30 juillet dernier pour le deuxième concert d’orgue du festival Toulouse d’Eté dédié à Franz Liszt. Il est vrai que le bicentenaire de la naissance de Franz Liszt, fil rouge de cette manifestation estivale, coïncide avec celui du plus célèbre des facteurs d’orgues du 19ème siècle, Aristide Cavaillé-Coll, lui aussi né en 1811. Rappelons qu’à plusieurs reprises Toulouse a fait appel à lui pour la rénovation de ses instruments et notamment celui de la basilique Saint-Sernin. Ces grandes orgues, réputées depuis dans le monde entier, ont été achevées en 1889. Inauguré le 3 avril 1889 par Alexandre Guilmant, l’instrument compte cinquante-quatre jeux répartis sur trois claviers et un pédalier.

La nef de la basilique Saint-Sernin envahie par le foule des spectateurs du concert

– Photo Classictoulouse –

C’est à Jean-Baptiste Dupont, organiste adjoint aux grandes orgues de cette basilique, que l’organisation du festival, en partenariat avec le festival Toulouse les Orgues, a fait appel pour ce grand concert gratuit, offert à tous les mélomanes. Ce jeune (il est né en 1979) et très talentueux musicien a accumulé les récompenses. Il est notamment lauréat du concours international d’interprétation Xavier Darasse, une personnalité à laquelle la résurrection de l’instrument-roi, à Toulouse et ailleurs, doit beaucoup.

Jean-Baptiste Dupont a conçu pour le concert de ce double bicentenaire un programme particulièrement bien construit autour de l’œuvre majeure que Liszt consacra à l’orgue. Précédé d’une partition mythique de Johann Sebastian Bach, l’incontournable inspirateur de toute la production organistique ultérieure, le diptyque Liszt est suivi d’un choix d’œuvres de Max Reger, profondément influencé par ses deux grands prédécesseurs.

La Fantasia und Fuge, en ut mineur, probablement composée par Bach vers 1716 à Weimar, ouvre le concert sur une musique d’une poignante profondeur. Jean-Baptiste Dupont en souligne, sans dérive romantique, la solennité pathétique du prélude. Le chromatisme de la Fugue qui suit l’accord final comme suspendu de la Fantaisie est admirablement traité. Un cheminement ascendant vers la lumière éblouit ce final de gloire.

L’organiste toulousain Jean-Baptiste Dupont

Dans l’œuvre pour orgue de Franz Liszt, essentiellement concentrée sur sa maturité et la fin de sa vie créatrice, Jean-Baptiste Dupont choisit deux pièces significativement contrastées. La 4ème consolation est extraite du recueil de six pièces pour piano inspirées des poèmes éponymes que Sainte-Beuve avait dédiés à Victor Hugo en 1830. Elle est jouée par Jean-Baptiste Dupont dans la version transcrite pour orgue et revue par Karl Straube. Cette marche lente et recueillie, constitue une très judicieuse introduction à la pièce essentielle qui suit.

Le Präludium und Fuge über den Namen Bach, B.A.C.H. (Prélude et fugue sur le nom de Bach) représente l’une des œuvres majeures composées pour l’orgue par Liszt qui admirait très profondément Bach. Toute la partition repose sur les quatre notes qui correspondent, dans la notation anglo-saxonne, aux lettres qui composent le nom de Bach : si bémol, la, do, si bécarre. Cette page éblouissante s’ouvre sur un prélude (Allegro moderato) aux accents dramatiques. L’interprète en déchaîne toutes les couleurs et les fulgurances que permet l’instrument magnifique qu’il maîtrise avec autorité. Il en souligne habilement l’audace des modulations de la fugue. Son jeu flamboyant confère à l’œuvre son caractère improvisé.

Cinq des Douze pièces pour orgue op. 59, de Max Reger complètent ce tableau coloré. Grâce un choix sensible des registrations, l’interprète en oppose intelligemment les atmosphères, de la paisible Pastorale au très festif Te Deum, en passant par la solennité joyeuse du Gloria in excelsis, ou la douceur de Melodia.

Une improvisation magistrale, inspirée de Franz Liszt, conclut le concert sur un éblouissant déferlement de sonorités et de timbres, bénéficiant des étonnantes qualités de dynamique du Cavaillé-Coll. Le thème de l’ouverture de Tannhaüser, du gendre ami Richard Wagner, en constitue la trame. Sans adopter la technique lisztienne de la transcription ni celle de la réminiscence, Jean-Baptiste Dupont construit une sorte de délire sur le motif conducteur qui émerge périodiquement de l’impressionnant maelstrom sonore auquel une apothéose explosive met un point final. Quel beau témoignage du renouveau de cette fructueuse pratique de l’improvisation !

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