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L’œuvre apothéose

Le 15ème festival international Toulouse les Orgues s’approche de sa conclusion. Le samedi 16 octobre dernier, l’église-musée des Augustins et son splendide orgue Ahrend accueillaient le grand organiste américain James David Christie qui donnait sa version personnelle de l’œuvre probablement la plus emblématique de toutes les partitions « jouables » sur un orgue, « L’Art de la fugue » du grand Johann Sebastian Bach.

Cette ultime œuvre monumentale du cantor de Leipzig résonne aujourd’hui comme le bilan d’une vie créatrice, comme un testament musical d’une portée cosmique. Il s’agit pourtant, sans nul doute, d’un ouvrage didactique destiné à démonter la fabrication d’une forme musicale aux ressources inépuisables. Composée de fugues simples, doubles, triples, quadruple(s), de fugues en miroir (pour lesquelles James David Christie reçoit l’aide de John Finney), de canons, toutes ces pièces dans la tonalité de ré mineur, et toutes issues d’un seul et unique thème d’une étrange simplicité, cette partition évoque comme une image de la genèse.

L’organiste américain James David Christie

Aucune indication d’instrumentation ne figure sur le manuscrit. L’exécution sur un clavier s’avère tout aussi légitime qu’une interprétation orchestrale. Néanmoins, l’orgue résonne ici comme une sorte d’idéal. L’instrument roi en souligne ce parfum d’éternité qui humanise ce qui pourrait apparaître comme une démonstration mathématique d’analyse combinatoire. L’émotion qu’elle suscite est un peu de même nature que celle qui émane d’une architecture inspirée, comme celle du Parthénon ou du Taj Mahal, une émotion qui s’incarne étrangement dans l’abstraction.

Saluons le geste de James David Christie qui dédie son exécution de L’Art de la fugue à la mémoire de Jean Boyer, ce musicien humaniste et chaleureux, prématurément disparu en 2004 et qui, comme le rappelle Michel Bouvard, président de Toulouse les Orgues, joua cette même œuvre voici dix ans sur le même orgue.

L’organiste américain instaure dès les premières mesures du Contrapunctus I, une solennité sensible que la progression dans la partition fait lentement évoluer. Sans être soulignés fortement, les contrastes émergent d’une richesse somptueuse des timbres de cet orgue Ahrend, décidemment idéal pour un tel répertoire. A côté de la méditation qui nourrit la majorité des contrepoints, quelques pièces mettent en évidence l’éclat dont le compositeur sait par ailleurs faire l’économie. Ainsi en est-il de l’imposant Contrapunctus VI, « dans le style français » qui contraste de manière saisissante avec la douceur du Contrapunctus VII qui suit immédiatement. L’impressionnant Contrapunctus XI semble atteindre les limites du gigantisme sonore, alors que la danse anime l’essentiel des Canons.

Un seul petit regret peut être formulé. L’interprète décide de « compléter » la Quadruple fugue inachevée, sur le nom de B.A.C.H., par une cadence, par ailleurs fort bien imaginée. Pourtant, la non-fin laissée en suspens par le compositeur possède un impact si fort qu’il est dommage de la modifier. Cette interruption brutale ramène en fait l’œuvre à ses proportions humaines que l’on ne retrouve pas dans une telle conclusion reconstituée.

Néanmoins, le choral « Wenn wir in höchsten Nöten sein » qui conclut cette vaste entreprise aide à redescendre lentement sur Terre…

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