Le 17ème Festival International Toulouse les Orgues vient de s’ouvrir sur une impressionnante démonstration musicale. Invité par Michel Bouvard à enflammer le Cavaillé-Coll de la basilique Saint-Sernin, le grand organiste Olivier Latry a relevé le défi d’y célébrer la plus révolutionnaire des partitions orchestrales du XXème siècle. Avec le concours de la brillante Coréenne Shin-Young Lee, il a porté à incandescence sa propre version pour orgue du Sacre du Printemps d’Igor Stravinski.
Titulaire des grandes orgues de Notre-Dame de Paris, professeur au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, Oliver Latry mène une carrière exemplaire de musicien sur la scène internationale. Il parcourt le monde et se produit régulièrement sur les cinq continents où il reçoit un accueil enthousiaste. Reconnu par ses pairs, il a été consacré « International performer of the year » par l’American Guild of Organists à New York en 2009. Sa venue à Toulouse pour le concert d’ouverture de ce festival s’imposait donc d’elle-même.
Les nombreux mélomanes attirés par l’affiche alléchante de cette soirée bénéficient en outre du spectacle visuel des artistes à la console. Un grand écran reproduit en effet, au-dessus de l’autel, l’image des interprètes pendant le déroulement du concert. L’intérêt de ce soutien visuel dépasse l’anecdote. L’œil ainsi sollicité facilite l’analyse de ce que perçoit l’oreille. Et au-delà, de ce que reçoit l’esprit et la sensibilité.
Les quatre mains de Shin-Young Lee et Olivier Latry à la console du Cavaillé-Coll de la basilique Saint-Sernin – Photo Classictoulouse –
Comme le note Michel Bouvard en début de concert, l’émoi soulevé par la création de ce Sacre en 1913, a « contaminé » toute la musique qui a suivi. Olivier Latry fait donc précéder l’exécution de l’œuvre de Stravinski de celle d’une série de courtes pièces postérieures et d’une manière ou d’une autre « sous influence »… Avec le premier mouvement de la Symphonie-Passion (Le monde dans l’attente du Sauveur), de Marcel Dupré, l’interprète déchaîne d’impressionnantes tempêtes. L’orgue gronde et inonde la nef de sa démesure. Dans la Petite Rhapsodie improvisée, de Charles Tournemire, telle qu’elle fut retranscrite par Maurice Duruflé, le frémissement presque impressionniste évoque quelque envol d’oiseau. Olivier Messiaen trouve tout naturellement sa place dans cette introduction. L’apparition du Christ ressuscité à Marie-Madeleine, extrait du « Livre du Saint-Sacrement », distille toute la mystique du compositeur de la Turangalîla Symphonie, jusqu’au chant d’oiseau qui ne saurait manquer ici. Enfin, Evocation II, de Thierry Escaich, donne la mesure du talent et de l’imagination de ce grand contemporain. L’ostinato rythmique qui anime sa pièce maintient une tension irrésistible.
Une tension que l’on retrouve tout au long de l’exécution de cette incroyable version pour orgue à quatre mains… et quatre pieds du Sacre du Printemps. Etablie par Oliver Latry lui-même à partir de la transcription pour piano à quatre mains du compositeur, la partition fait appel à toutes les ressources mécaniques et acoustiques (elles sont immenses) de l’instrument de Cavaillé-Coll, mais aussi à celles, humainement spectaculaires, des interprètes. Shin-Young Lee rejoint ici à la console Oliver Latry. La vision offerte des quatre mains sur les trois claviers et des quatre pieds sur le pédalier prolonge encore l’impression de fulgurance et de richesse des sonorités générées. L’œil écoute. L’auditeur ne peut évidemment chasser de sa mémoire les timbres instrumentaux de l’orchestre original. L’expérience revêt ainsi pour l’auditeur un double aspect de reconnaissance et de redécouverte. Par moments, l’impression d’entendre l’orchestre reste vive. Ailleurs, il s’agit presque d’une œuvre nouvelle. Ainsi, le basson initial semble émerger de tuyaux imitateurs. Même chose pour les trompettes que traduisent les chamades. Le rythme règne en maître dans le déploiement exultant d’une dynamique exacerbée, palliant ainsi l’absence de percussions sèches. Le souffle reste suspendu jusqu’à ce dernier accord explosif, témoin de l’effondrement de l’élue. On respire enfin !
Un grand bravo aux deux valeureux acteurs de cette performance, saluée par une ovation debout, sans oublier les deux assistantes chargées des changements de jeux et dont le rôle reste primordial.