Une fois de plus, le jeune Quatuor Modigliani enthousiasme le public nombreux du festival Toulouse d’Eté. Invités pour la quatrième fois par Alain Lacroix, le directeur de la manifestation estivale, ces quatre musiciens surdoués maintiennent ainsi leurs liens avec la ville rose qui a hébergé leur formation initiale et qui se réjouit de leurs succès internationaux. Après un premier concert donné en cette fin d’après-midi d’un 23 juillet de canicule, les Modigliani concluent la soirée en s’associant avec cet autre grand et jeune artiste d’origine toulousaine, le pianiste Adam Laloum, lui aussi largement adopté par le public international. Les deux concerts se déroulent dans la salle capitulaire du légendaire cloître des Jacobins.
Lauréat de grands premiers prix de prestigieuses compétitions internationales dès sa fondation, le Quatuor Modigliani a connu une ascension fulgurante. Bientôt dix ans après il ne cesse d’engranger les succès. Cette Heure avec…, titre de son premier concert de la journée du 23 juillet, constitue un test significatif des qualités spécifiques de cette formation exigeante. Il ne suffit pas en effet de réunir quatre bons musiciens pour former un bon quatuor à cordes. Encore faut-il que cette réunion constitue un authentique ensemble, une sorte d’instrument à seize cordes, cohérent et uni. Avec Philippe Bernhard et Loïc Rio, violons, Laurent Marfaing, alto, et François Kieffer, violoncelle, chacun d’eux manifeste une personnalité forte et bien identifiable. Et néanmoins la cohésion, l’unité ne sauraient être plus incontestable. Unité et non uniformité. C’est peut-être cela le secret de leur réussite. Ces quatre Mousquetaires de la musique (Un pour tous…) tirent tous dans la même direction, chacun avec son tempérament.
Les membres du Quatuor Modigliani. De gauche à droite : Philippe Bernhard et Loïc Rio, violons, Laurent Marfaing, alto, François Kieffer, violoncelle
– Photo Classictoulouse –
Dès les premières notes de leur interprétation du quatuor en si bémol majeur op. 50 n° 1 de Joseph Haydn, ces qualités s’imposent d’elles-mêmes. Beauté des sonorités, précision absolue (la perfection des pizzicati !), engagement de chacun, variété des nuances, vitalité des phrasés et des accents. Sous leurs archets, la musique vit. L’ostinato un rien ironique de l’Allegro initial, la succession pleine de vitalité des variations de l’Adagio, le plaisir du jeu affiché par le Scherzo conduisent à la malice qui anime le vif argent du Finale. Le plaisir musical à l’état pur.
Avec le fameux et unique Quatuor en fa majeur de Maurice Ravel, le propos est tout autre. Les Modigliani abordent ce chef-d’œuvre de la manière la plus personnelle qui soit. Point de pâmoison affectée, ni de douceur rassurante. Du nerf, de l’élan vital, de l’énergie, autant d’ingrédients qui n’affectent en rien le pouvoir poétique de la partition, toujours aussi prégnant. Le deuxième volet, Assez vif – Très rythmé, trouve là un relief étonnant. La méditation du Très lent n’en distille que plus d’affect. Quant au final, Vif et agité, il déploie sa fébrilité dans un éclat de tempête.
Un Menuet de Schubert, tout en douceur-douleur, vient remercier le public de son accueil.
Adam Laloum, interprète des six Klavierstücke op. 118 de Brahms
– Photo Classictoulouse –
Avec piano
A partir de 21 h 30, Adam Laloum vient donc rejoindre ses collègues et amis pour un programme conséquent et plein d’exigence. Le Quatuor n° 1 en ut mineur pour piano et cordes, de Gabriel Fauré ouvre la soirée. Le premier violon du Quatuor Modigliani, Philippe Bernhard, laisse ici la place à son collègue Loïc Rio. Le charme de la phrase fauréenne, si typique, émerge peu à peu. La fusion du piano et des cordes prend une saveur particulière. Comme ils l’ont pratiqué avec Ravel, les musiciens ne cèdent pas à un angélisme artificiel. La structure de la partition reste lisible. Ses quatre mouvements reçoivent ici aussi l’énergie d’une interprétation pleine de passion et de lyrisme. Vivacité du Scherzo, admirable construction « en arche » de l’Adagio, dont l’émotion retenue laisse libre cours à un élan central presque désespéré. Le mouvement final porte à son apogée cette faculté des musiciens à se compléter. Les motifs qui passent de l’un à l’autre, comme autant de questions et de réponses, animent une sorte de vibration fiévreuse.
Le piano seul des Six Klavierstücke de l’opus 118, de Johannes Brahms, donne la parole à Adam Laloum. Ces pièces automnales, crépusculaires, de fin de vie, ne jouent pourtant pas sur le seul registre de la nostalgie. Le jeune pianiste y implique son jeu à la fois profond et nimbé d’une lumière, d’une clarté inhabituelles. La vigueur de l’Intermezzo initial, le ton de lied de la Romance en fa majeur, la profondeur expressive de l’Intermezzo en la majeur, et jusqu’à la trajectoire méditative interrompue et retrouvée de l’Intermezzo final, en mi bémol mineur, reçoivent ici l’hommage fervent d’un interprète dont la jeunesse est probablement un atout irremplaçable.
Le Quatuor Modigliani et Adam Laloum dans le Quintette pour piano et cordes de Brahms
– Photo Classictoulouse –
Rejoint par le Quatuor Modigliani au complet, Adam Laloum « s’attaque » enfin au monumental Quintette en fa mineur pour piano et cordes de Brahms dont la naissance connut quelques péripéties. D’abord destinée à un quintette à cordes, la partition devint sonate pour deux pianos avant d’atteindre son état définitif de quintette avec piano. L’œuvre possède les dimensions d’un grand concerto ou d’une symphonie. Les interprètes l’ont bien abordée en tant que tel. Le calme avant la tempête de l’introduction de l’Allegro non troppo ne trompe personne bien longtemps. Le piano déchaîne enfin des orages de passion et d’ardeur implacable, d’irrésistibles montées d’adrénaline. Les interprètes ne ménagent en rien leurs élans vigoureux, toujours parfaitement contrôlés. Là aussi, la fusion du piano et des cordes est réalisée avec art et conviction, chacun prenant la parole de manière légitime. Les rêves de l’Andante ménagent un contraste étonnant, alors que la structure rythmique du Scherzo est habilement soulignée, avec la précision et l’énergie qui conviennent. L’Allegro non troppo final est habilement mis en scène. C’est avec un détachement feint que le violoncelle égrène son motif presque anodin, motif qui entraîne l’ensemble dans une tourmente sans limite dynamique. Grandeur et éloquence reçoivent l’apport d’une énergie sans borne des interprètes. La coda héroïque prend alors l’allure d’une bourrasque irrésistible qui balaie tout sur son passage.
Sous les applaudissements nourris du public, les musiciens reprennent en bis une partie du Scherzo, ardent et contrasté. Un au-revoir chaleureux !